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Attentat meurtrier près d'un poste de police en Ingouchie

Une voiture piégée a explosé près d'un commissariat de police à Nazran (sud de la Russie). Au moins 19 personnes ont trouvé la mort. Le président russe Dmitri Medvedev a annoncé le limogeage du ministre ingouche de l'Intérieur.

Une camionnette bourrée d’explosifs a défoncé le portail du bâtiment de l’état-major de la police de la ville de Nazran, en Ingouchie, tuant 20 personnes et faisant au moins 60 blessés. Il s’agit de l’attentat-suicide le plus meurtrier qu’ait connu cette république du Nord-Caucase depuis 2004.

 "Le fait qu’il s’agisse d’un attentat-suicide semble indiquer qu’il s’agit d’une attaque d’insurgés islamistes. Cela veut dire que le mouvement, bien que très affaibli, reste actif" explique sur FRANCE 24 Shaun Walker,  le correspondant à Moscou de la revue The Economist. "Il y a régulièrement des attaques violentes en Ingouchie, mais il s’agit plutôt d’assassinats ciblés. Des attentats à cette échelle, c’est nouveau", ajoute-t-il.

L’explosion est survenue au moment où les policiers étaient réunis dans le hall central du bâtiment pour l’appel matinal, ce qui explique que le nombre de victimes soit si élevé. "Un grand nombre de blessés sont dans un état critique",  a déclaré un membre du personnel hospitalier de Nazran à l’agence de presse russe Interfax.

Pic de violence

L’attentat contre le poste de police intervient suite à une série d’attaques meurtrières à l’encontre de personnalités publiques de la République d’Ingouchie. La semaine dernière, le ministre de la Construction Ruslan Amerkhanov a été exécuté  à bout portant dans son propre bureau, quelques jours seulement après l’assassinat de trois employés du ministère des Situations d’urgence . Le président d’Ingouchie lui-même, Yunus-Bek Yevkurov, a été grièvement blessé lorsqu’une bombe a explosé au passage de son convoi. Il est actuellement en convalescence après avoir subi plusieurs opérations et sa capacité à reprendre ses fonctions à la tête de la république reste incertaine.

Les journalistes et militants des droits de l’Homme sont également la cible d’attaques fréquentes. La célèbre militante des droits de l’Homme Natalia Estemirova a été retrouvée morte le 16 juillet  après avoir été enlevée alors qu’elle se rendait à un entretien prévu avec des journalistes de FRANCE 24.  La directrice d’une ONG, Zarema Sadulayeva, et son mari sont les dernières victimes en date d’une série d’attentats visant les personnes qui osaient dénoncer la corruption, la brutalité et l’impunité des autorités locales.

"Le Kremlin a installé ses hommes forts dans la région et durement réprimé les mouvements séparatistes, explique Walker. Cela n’a pas empêché un conflit de basse intensité de se poursuivre, avec des petites attaques toutes les semaines, même si elles ne sont pas répercutées dans les médias occidentaux. De temps en temps, il y a une attaque très médiatisée, qui rappelle  la réalité de la violence sur le terrain."

Qui est derrière les actes de violence ?

 "Ce serait faux de dire qu’un seul groupe est responsable de cette dernière série d’attentats. Il n’y a pas de tête pensante centrale : chaque meurtre répond à un cas de figure différent", explique Robert Parsons, spécialiste des relations internationales à FRANCE 24.

"L’attentat-suicide de Nazran a certainement été orchestré par l’insurrection islamiste anti-russe, qui vise des symboles du pouvoir du Kremlin. Dans le cas de l’assassinat de Natalia Estemirova, il s’agit en toute probabilité du gouvernement tchéchène. S’il ne l’a pas directement ordonné, il l’a sans doute tacitement soutenu", estime Parsons.

Les causes de cette flambée de violence sont multiples et très complexes. Le conflit séparatiste prend racine dans les guerres d’indépendance du Caucase au XIXe siècle et s’enlise dans des problèmes de corruption endémique et de taux de chômage élevé.

"La lutte indépendantiste tchétchène s’est étendue à l’Ingouchie avec l’arrivée massive de milliers de réfugiés durant les guerres de 1994 et 1999, explique Robert Parsons. Cela, ajouté au chômage et à la pauvreté généralisés, ainsi que la véritable haine ressentie par les populations envers la bureaucratie locale corrompue, fait qu’il est très facile pour des groupes insurgés de recruter de nouveaux combattants. Des jeunes rejoindront les groups armés juste parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire, ou pour se venger d’abus subis par leurs proches."

"Les autorités russes sont dans l’impasse, estime Parsons. Tout ce que le Kremlin a tenté de faire au cours des années pour stabiliser les républiques du Caucase a échoué." Le vrai problème, ajoute le journaliste, est que "Moscou a tout misé sur la répression. Or c’est justement la répression qui nourrit la colère de la population locale et renforce les groupes rebelles."

Il semble toutefois peu probable que les attaques récentes contre des dignitaires russes incitent le Kremlin à revoir sa stratégie.