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Centenaire de l'assassinat des Romanov : un événement qui suscite "l'horreur et l'intérêt"

Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, le dernier tsar de Russie Nicolas II et sa famille étaient exécutés à Ekaterinbourg, dans l'Oural. Cent ans après, leur assassinat suscite toujours autant de spéculations.

Dans son édition du 21 juillet 1918, Le Gaulois est l’un des premiers journaux français à en faire l’annonce : "Le Tsar aurait été fusillé". "Lors de la première séance du Comité central exécutif des Soviets, la nouvelle est venue par fil direct, de la part du Soviet des Provinces de l’Oural, de l’assassinat de l’ancien tsar Nicolas Romanoff", peut-on lire en Une.

Le même jour, le Figaro reprend aussi l’information : "Le Tsar n’avait pas été assassiné à Ekaterinbourg au mois de juin par des gardes rouges furieux. Il a été fusillé le 16 juillet par les bourreaux du Soviet après une infâme comédie judiciaire". Les deux journaux précisent alors que la tsarine et le tsarévitch "ont été envoyés en lieu sûr". Le sort des quatre filles du couple impérial n'est pas mentionné.

Cent ans après, la disparition du tsar et de sa famille continue de faire couler beaucoup d’encre. Historiens, auteurs et autres enquêteurs amateurs continuent de se disputer la vérité. Que s’est-il passé dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 à Ekaterinbourg, dans la tristement célèbre maison Ipatiev ? L’ensemble de la famille impériale a-t-elle été exécutée ? Certains membres ont-ils été épargnés ? Que sont devenus leurs corps ?

À l’occasion du centenaire de leur mort, Nicolas Ross, docteur en histoire, a choisi d’aborder la question en donnant la parole aux bourreaux des Romanov. Dans son dernier livre "Ils ont tué le Tsar" (Editions des Syrtes), il rapporte le témoignage des acteurs de cet assassinat à partir de procès-verbaux ou de leurs récits à l'époque. "L’idée était de montrer le point de vue de ceux qui ont accompli cette action, pourquoi ils l’ont fait, qui étaient-ils, leur origine et la manière dont ils traitaient la famille impériale", explique ce spécialiste de la Russie.

Les détenus de la maison Ipatiev

En juillet 1918, cela fait déjà plus d’un an que Nicolas II, sa femme et ses cinq enfants ont été placés en résidence surveillée, après l'abdication du Tsar en mars 1917. Après avoir été évacués dans un premier temps à Tobolsk en Sibérie, où ils vivent dans des conditions relativement confortables, leur situation change radicalement après la prise de pouvoir des Bolchéviques en octobre 1917. "Leurs conditions de vies se sont dégradées. On a aussi pensé que la ville n’était plus assez sûre et que des troupes blanches risquaient d’arriver assez vite. Ils ont donc été transférés à Ekaterinbourg, la ville la plus ouvrière de l’Oural où les Bolchéviques étaient très implantés", raconte Nicolas Ross.

La famille impériale, accompagnée par son médecin, le docteur Botkine, et quelques serviteurs, arrive dans l’ancienne maison d’un ingénieur appelée Ipatiev au printemps 1918. Sa surveillance par des ouvriers bolchéviques de la région est alors très stricte. "Ils partageaient cette maison avec leurs gardes. Quand les grandes duchesses allaient à la salle de bains ou aux toilettes, elles passaient devant eux. Ils ne se privaient pas parfois pour faire des réflexions à leur égard", décrit Nicolas Ross.

"Une atmosphère d’angoisse"

Malgré ce quotidien difficile, la famille se montre très unie. "Ce sont des gens qui ont décidé d’être ensemble quelles que soient les circonstances. Ils se sont rapprochés. Le Tsar leur faisait la lecture. Il leur arrivait de chanter des cantiques religieux. On sent une atmosphère d’angoisse, mais assumée", estime l’auteur de "Ils ont tué le Tsar".

La menace est en effet bien là. Alors que des troupes sibériennes et tchèques hostiles aux Bolchéviques approchent de la ville, la décision est finalement prise d’exécuter les détenus de la maison Ipatiev. "Le pouvoir central à Moscou avait envisagé à un moment de faire un procès à Moscou, mais il a finalement donné son feu vert à une exécution locale, en soulignant le fait que leur évacuation aurait pu être risqué", explique Nicolas Ross. "L’idée du pouvoir central, de Lénine et de Iakov Sverdlov (président du comité exécutif central, NDLR) était de se débarrasser de tous les Romanov, de ce symbole très fort de l’ancienne Russie".

Le 16 juillet au matin, Leonid Sednev, un jeune garçon de cuisine, qui sert de compagnon de jeu au Tsarévitch Alexeï, est renvoyé chez lui. En pleine nuit, un camion est posté près de la maison. Son moteur doit couvrir le bruit de l’exécution. La famille impériale est alors réveillée vers 1h du matin : "On leur a demandé de s’habiller car il risquait d’y avoir une attaque. On les a fait descendre dans une pièce, à l’entresol, pour attendre en sécurité les événements". Les Romanov, leur docteur et leurs serviteurs sont alors alignés. Le commandant des lieux, Iako Iourovski, leur lit une déclaration et les coups de feu éclatent : "Cela a duré plusieurs minutes. Quand les tirs ont cessé, plusieurs des victimes étaient encore vivantes. Il a fallu les achever au pistolet et pour d’eux d’entre elles à la baïonnette".

Les corps sont alors transportés dans le camion vers un lieu situé à une quinzaine de kilomètres d’Ekaterinbourg. Ils sont jetés dans un puits de mine. Le lendemain, ils sont déterrés. Neuf des corps sont inhumés dans une autre fosse après avoir été aspergés d’acides, deux autres séparément après avoir été partiellement brûlés. Mais cette version est contestée par certains. L’historien Marc Ferro soutient notamment que toute la famille n’a pas été tuée. Pour lui, les filles et la Tsarine ont été sauvées grâce à un accord secret conclu entre les Bolchéviques et les Allemands.

Des survivants ?

Nicolas Ross ne partage pas cet avis, mais il comprend que des doutes aient pu émerger. "Quand on les a exécutés, les journaux ont seulement publié la nouvelle de l’assassinat du Tsar. Il a été indiqué dès les premiers jours que les membres de la famille ont été mis en lieu sûr", souligne-t-il. "Et ensuite pendant des années, il n’y a pas eu de reconnaissance officielle du massacre de toute la famille. C’est d’ailleurs l’une des causes majeures de la réapparition de pseudos membres de la famille impériale". Plusieurs femmes ont ainsi revendiqué être l’une des grandes duchesses ayant survécu. L’une des plus connues est une certaine Anna Anderson, découverte en 1920 après une tentative de suicide à Berlin, et qui a soutenu être Anastasia.

Le feuilleton a continué avec l’exhumation en 1991 des restes du Tsar, de sa femme et de trois de leurs filles. De nombreux tests ADN ont ensuite reconnu leur authenticité. Sept ans plus tard, des funérailles d’Etat ont été organisées à la forteresse Pierre et Paul de Saint-Pétersbourg. Les restes des deux autres enfants du Tsar, Alexeï et Maria, dont les corps avaient été séparés des autres, ont été retrouvés seulement en 2007. Malgré ces découvertes, et alors que la famille a été canonisée en 2000, l’Eglise orthodoxe refuse encore aujourd’hui de reconnaître ces ossements : "Pour elle, c’est un vrai problème. Elle ne peut pas risquer de reconnaître comme des reliques des restes qui pourraient ne pas l'être. Une bonne partie des fidèles ne le reconnaîtront pas. Cela pourrait entrainer un schisme dans l’église russe", résume Nicolas Ross.

Cent ans après, Nicolas II jouit en tout cas d’une popularité retrouvée. "Lors des derniers sondages sur les plus grandes figures de l’histoire russe du 20e siècle, il figure en première position devant Staline et Lénine. Il est devenu une figure positive, alors qu’à l’époque, c’était Nicolas le sanglant, celui qui a organisé la répression des émeutes ouvrières et qui faisait pendre les révolutionnaires", explique Nicolas Ross, qui comprend en tout cas que sa fin tragique continue de fasciner : "Il y a peu d’événements comparables dans l’histoire. C’est une exécution ratée. Des restes qu’on transporte d’un endroit à l’autre. Des secrets et des mensonges. Cela suscite à la fois l’horreur et l’intérêt".