envoyé spécial France 24 à Nijni Novgorod (Russie) – Bien moins connue que Moscou et Saint-Pétersbourg, Nijni Novgorod peine à s'imposer auprès des touristes. La ville, où les Bleus affrontent l'Uruguay en quart du Mondial-2018, est pourtant un témoin privilégié de la grande histoire russe.
"Comment peut-on vivre sans avoir vu Nijni Novgorod ?", se demandait en son temps le poète et romancier français Théophile Gautier. Située à 400 km à l’est de Moscou, au confluent de la Volga et de l'Oka, Nijni Novgorod n’est pas seulement la cinquième ville de Russie, avec son imposant Kremlin et son million et demi d’habitants. Capitale administrative de l'oblast éponyme, elle est surtout le symbole de huit siècles d’histoire, une éternité au regard de la majestueuse mais toute jeune Saint-Pétersbourg, érigée 500 ans plus tard.
Fondée en 1221 sur un emplacement hautement stratégique, au carrefour des cultures slaves et asiatiques du plus grand pays du monde, Nijni Novgorod a su tirer parti de cette richesse pour devenir un centre économique emblématique de l'Empire russe. Au XIXe siècle, avant que la Révolution russe d’octobre 1917 ne vienne rebattre les cartes dans la région, elle était même devenue l'un des points d'ancrage des échanges commerciaux du continent eurasien. Un statut qui lui valait alors le surnom de "porte-monnaie" de la Russie, une appellation largement due au succès de l’immense foire Makaryev fréquentée par des marchands de tout le globe, et qui générait alors la moitié des exportations de biens du pays.
L’isolement de Gorki
Au sortir de la Première Guerre mondiale, le pouvoir soviétique prend ses quartiers dans la ville, point de départ d’un changement majeur. Quinze ans plus tard, en 1932, la métropole est rebaptisée Gorki en l'honneur de l'écrivain Maxime Gorki, grand partisan du bolchevisme tombé en disgrâce auprès de Lénine et partiellement réhabilité sous Staline. Nijni Novgorod entame sa mue. Sur son territoire, l’immense usine de la GAZ (Gorkovski Avtomobilny Zavod) a pour mission de moderniser le parc automobile embryonnaire d’une Union soviétique qui peine à prendre le virage de la modernité.
Dans les années qui suivent, et alors que la Seconde Guerre mondiale couve, l’activité industrielle se tourne très largement vers l’armement, notamment via la production de roquettes Katioucha. Entre 1941 et 1943, l’éphémère Gorki est bombardée sans relâche par l’aviation allemande et sort, comme bien d’autres villes russes, meurtrie par le conflit.
Du huis clos à la high tech
La Guerre froide finira d’asseoir le statut de complexe militaro-industriel de la métropole. En 1959, elle est totalement fermée aux étrangers, afin de préserver les secrets des nombreuses entreprises de défense qui opèrent sur son sol. Mêmes les citoyens de l'Union soviétique y sont soumis à des restrictions d'accès, de déplacement et de résidence. Le huis clos tiendra jusqu’en 1991, date de la chute de l’URSS. L’éphémère Gorki, qui a notamment accueilli l’assignation à résidence du célèbre dissident Andreï Sakharov entre 1980 et 1986, redevient Nijni Novgorod.
L’ADN de la ville est toujours présent. Dans la Russie tuméfiée des années 1990, Nijni Novgorod n’a pas plus tiré son épingle du jeu que les emblématiques Moscou et Saint-Pétersbourg, mais les vestiges d’une industrialisation civile et militaire y sont toujours présents. GAZ, deuxième constructeur automobile du pays et leader sur les marchés du bus et des poids lourds, est toujours le principal employeur de la métropole. Et après quinze années au point mort, l'usine aéronautique Sokol, d’où sortent les célèbres avions de chasse MiG, voit enfin ses carnets de commande s’épaissir, tout comme le vénérable chantier naval Krasnoïé Sormovo, actif depuis la moitié du XIXe siècle.
Les entreprises étrangères ont également réinvesti les lieux. Au printemps 2004, le géant de l'informatique Intel y a installé l'un de ses plus gros centres de recherche et développement en Europe, une structure qui emploie plus de 500 ingénieurs. D'autres acteurs majeurs des nouvelles technologies sont également présents, notamment le chinois Tecom ou les américains Bell Integrator et Auriga. Une renaissance économique qui ne fait toutefois pas oublier que Nijni Novgorod reste avant tout un symbole de la culture russe, en témoigne sa présence parmi les villes classées au Patrimoine mondial de l’Unesco.