Amnesty International documente dans un récent rapport les violences commises dans les régions anglophones du Cameroun par les forces de sécurité et les groupes séparatistes. L’ONG s’inquiète d’une "escalade de la violence".
D’un mouvement de protestation pour obtenir plus de reconnaissance à la fin de l’année 2016 à un conflit armé que fuit en masse la population, un an plus tard. Dans le nord anglophone du Cameroun, "la situation s'est rapidement détériorée", alerte Amnesty International dans un rapport publié mardi 12 juin. L'ONG documente, à l'aide de 150 témoignages ainsi que de nombreuses photos et prises de vue aériennes à l’appui, les violations des droits de l’Homme commises dans les deux régions anglophones, théâtre depuis plusieurs mois d’affrontements quasi quotidiens entre des groupes séparatistes qui réclament la proclamation d'un nouvel État, l'Ambazonie", et les forces de sécurité camerounaises. "Nous assistons très clairement à une escalade de la violence", estime Samira Daoud, directrice adjointe d’Amnesty International chargée de l’Afrique de l’Ouest et centrale, jointe par France 24.
"Les forces de sécurité camerounaises ont commis des violations des droits humains, dont des homicides illégaux, des exécutions extrajudiciaires, des destructions de biens, des arrestations arbitraires et des actes de torture durant des opérations militaires", rapporte l’ONG qui détaille notamment l’intervention brutale de l’armée, le 13 décembre 2017, dans un village. "Des soldats camerounais, y compris ceux du Bataillon d’intervention rapide (BIR), ont bouclé le village de Dadi pour mener des opérations de ratissage et d’arrestation. L’armée prétendait que le village abritait un camp d’entraînement des FDA (les Forces de défense d’Ambazonie, principal groupe séparatiste, NDLR)", écrit Amnesty. D’après l’ONG, cette opération de l’armée s’est soldée par "au moins 4 homicides illégaux" et "23 arrestations arbitraires" dont celles de "deux mineurs, cinq ressortissants nigérians et deux personnes souffrant de troubles mentaux". Ces vingt-trois personnes ont été "conduites à la salle communale où elles ont été détenues en secret et torturées pendant trois jours", lit-on dans le rapport. Les autorités camerounaises ont toujours démenti tout usage excessif de la force.
Le journaliste indépendant Emmanuel Freudenthal, un des rares journalistes à s’être rendu récemment dans ces régions anglophones, très difficiles d’accès, décrit à France 24 de "nombreux villages entièrement désertés" après ou en prévision de l’intervention de l’armée. Il rapporte les témoignages de réfugiés qui évoquent la panique à l’arrivée des militaires : "Tous ou presque décrivent la même scène, celle d’une armée qui débarque dans le village et se met à tirer dans tous les sens". Quelque 160 000 personnes ont dû fuir leur logement à la suite des violences selon l'ONU, et 34 000 se sont réfugiées au Nigeria, selon les chiffres de l'agence nigériane de gestion des urgences.
La population "prise entre deux feux"
Les séparatistes se sont également rendus coupables de violations des droits de l'Homme d'après l'enquête d'Amnesty. L'ONG estime qu'au moins 44 membres des forces de sécurité ont été abattus, entre septembre et mai 2017, par ces combattants armés. Un armement souvent rudimentaire décrit Emmanuel Freudenthal. L'organisation a aussi documenté l’attaque d’au moins 42 écoles entre février 2017 et mai 2018, ainsi que l’agression d’enseignants et d’étudiants "accusés de ne pas avoir participé au boycottage imposé par les séparatistes".
Selon Amnesty, ces derniers s’en prennent aussi à ceux soupçonnés de collaborer avec les forces de sécurité qui "comptent en partie sur des informateurs pour localiser les sympathisants des séparatistes armés et repérer leurs mouvements et activités'. Plusieurs témoignages permettent à Amnesty d'affirmer que "de nombreuses personnes soupçonnées de collaborer avec les forces de sécurité et les services secrets ont été intimidées, battues, tuées…".
"Ils pourraient tout simplement surgir et vous torturer sous prétexte que vous êtes un informateur", affirme ainsi un commerçant du village de Nguti. "Il est désormais une habitude, dès lors que vous êtes en désaccord pour quel que motif que ce soit avec les sympathisants ambazoniens d’être immédiatement étiquetés comme traîtres et pris pour cible", explique encore cet autre habitant à Amnesty.
"La réponse très lourde des autorités au début du mouvement de protestation, qui n’était qu’une série de grèves et de manifestions principalement pacifiques, a contribué à cette escalade de la violence puisque cela à participer à radicaliser le mouvement indépendantiste", estime Samira Daoud qui, au nom d’Amnesty International, réclame l’arrêt des violences des forces de sécurité à l’encontre des populations civiles.