logo

Emmanuel Macron de plus en plus poussé par son clan vers le social

Trois économistes proches d’Emmanuel Macron ont transmis au président une note confidentielle l’enjoignant à faire davantage de social, révèle samedi Le Monde. Des voix qui s’ajoutent à celles de plus en plus nombreuses au sein de la majorité.

Jusqu’ici indifférent aux appels lancés par l’aile gauche de la majorité, Emmanuel Macron sera-t-il davantage à l’écoute des économistes qui ont bâti son programme présidentiel ? Dans une note confidentielle transmise au président de la République et révélée par Le Monde, samedi 8 juin, Jean Pisani-Ferry, Philippe Aghion et Philippe Martin alertent Emmanuel Macron au sujet de l’image que renverrait "un pouvoir indifférent à la question sociale".

"Le thème de la lutte contre les inégalités d’accès, qui était constitutif de l’identité politique du candidat, est occulté" et certaines réformes ne sont "pas à la hauteur des ambitions initiales", regrettent-ils. Celle de l’assurance-chômage, qui ne sera finalement pas ouverte à l’ensemble des démissionnaires et des indépendants comme cela avait été promis durant la campagne, est notamment pointée du doigt.

Pour décoller l’étiquette du "président des riches" attachée à Emmanuel Macron, les trois économistes font des recommandations. Ils suggèrent ainsi, selon Le Monde, de ne surtout pas baisser la prime d’activité – alors que des informations de presse cette semaine ont fait état de la volonté de Matignon de la diminuer –, de revoir certaines aides aux entreprises comme le crédit d’impôt recherche (CIR), de supprimer les niches fiscales liés à l’investissement immobilier, de taxer davantage les très grosses successions et de différer la promesse de supprimer la taxe d’habitation pour les 20 % des Français les plus riches.

"Si on libéralise sans protection sociale, on crée du populisme"

Philippe Aghion, qui connaît Emmanuel Macron depuis leur travail en commun au sein de la Commission Attali durant le quinquennat Sarkozy, avait déjà formulé des critiques publiques ces derniers jours. "Il faut qu’Emmanuel Macron montre que le social et la recherche comptent pour lui", a-t-il affirmé dans un entretien avec Alternatives économiques publié le 30 mai. Constatant que "le compte n’y [était] pas" après une année de mandat, l’économiste, professeur au Collège de France, réclamait "une flexisécurité bien financée", "un système éducatif et un système de santé solides" et "un effort pour les plus pauvres et les petits retraités".

Deux jours plus tard, sur France Inter, Philippe Aghion enfonçait le clou : "Si on libéralise sans protection sociale, on crée du populisme. […] Si on fait du Thatcher, on obtient le Brexit ; si on fait du Reagan, on obtient Trump. Il ne faut pas faire la même chose chez nous. […] Notre modèle c'est le scandinave, pas le modèle anglo-saxon."

Philippe Aghion : "Si on libéralise sans protection sociale, on créé du populisme" #economie #guerrecommerciale #macron #le79Inter pic.twitter.com/fKZNG2BSP1

  France Inter (@franceinter) 1 juin 2018

L’appel de ces trois économistes vient s’ajouter aux voix de plus en plus nombreuses qui s’élèvent au sein de la majorité pour réclamer davantage de justice sociale. Longtemps silencieuse, l’aile gauche de La République en marche (LREM) est montée au créneau à l’Assemblée nationale sur plusieurs textes du gouvernement considérés trop à droite ou pas assez progressistes.

La loi asile et immigration, notamment, a été jugée beaucoup trop dure par de nombreux députés LREM. Et alors que ceux-ci n’ont pas réussi à faire modifier le texte, ils étaient 91 à ne pas prendre part au vote, le 23 avril, pour éviter d’avoir à se prononcer officiellement, et 16 à s’abstenir. Le député de la Vienne, Jean-Michel Clément, a quant à lui carrément voté contre avant de quitter le groupe majoritaire dans la foulée.

"Un certain trépignement et un désir d’avancer sur les sujets sociaux"

Pour ces députés, issus de la gauche pour la plupart, il est urgent de rééquilibrer la politique menée par le gouvernement et de rester en phase avec la promesse du "et en même temps" de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron.

"S'il y a un élan économique, on ne peut pas admettre que les plus fragiles, en particulier les mères célibataires, les jeunes, les seniors et les territoires abandonnés, restent à l'écart", a ainsi déclaré la députée du Pas-de-Calais et présidente de la Commission des Affaires sociales à l’Assemblée, Brigitte Bourguignon, dans le Journal du Dimanche du 13 mai. Celle-ci reconnaissait qu’il y avait "un certain trépignement et un désir d’avancer sur les sujets sociaux" au sein de l’aile gauche de la majorité, représentée notamment par les députés Matthieu Orphelin, François-Michel Lambert, Barbara Pompili, Aurélien Taché ou encore Laetitia Avia.

Ces élus regrettent par ailleurs que les voix les plus audibles au sein du gouvernement soient celles issues de la droite. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, et le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, deux transfuges du parti Les Républicains, ont ainsi tous deux évoqué ces derniers jours la possibilité de baisser les aides sociales. Or, il n’y a face à eux aucun poids lourd dans l’équipe gouvernementale pour représenter la gauche.

Un déséquilibre qui se ressent dans les études d’opinion. Seuls 31 % des Français jugent "juste" la politique menée par Emmanuel Macron et son gouvernement et une majorité des Français (55 %) considèrent que l'exécutif n'en fait pas assez pour les plus démunis, selon un sondage BVA pour La Tribune diffusé le 6 juin.

Emmanuel Macron va-t-il avoir à cœur de changer son image ? Des arbitrages sont attendus d’ici juillet en vue de la présentation d’un plan de lutte contre la pauvreté. L'exécutif, qui souhaite baisser le niveau des dépenses publiques de plus de trois points de PIB d'ici 2022 grâce à un effort réparti sur l'ensemble des administrations publiques, reste flou sur ses intentions et assure que rien n'a encore été acté.