![La France crée un premier village Alzheimer pour "améliorer le quotidien" des malades La France crée un premier village Alzheimer pour "améliorer le quotidien" des malades](/data/posts/2022/07/23/1658574587_La-France-cree-un-premier-village-Alzheimer-pour-ameliorer-le-quotidien-des-malades.jpg)
Sur le modèle du village hollandais d’Hogeweyk, un "village Alzheimer" accueillera fin 2019 une centaine de résidents à Dax, dans le sud-ouest de la France. Questions à Jean-François Dartigues, neurologue qui supervise le projet.
C’est une forme d’utopie pour personnes âgées. Sur un terrain de cinq hectares situé à Dax, au sud de Bordeaux, un "village Alzheimer" va naître d’ici la fin 2019. La première pierre a été posée, lundi 4 juin. Le lieu comprendra des habitations, un restaurant, un auditorium, une supérette, un coiffeur, une salle de gym, une mini-ferme, un potager : tout ce qui permet la socialisation des personnes présentant les symptômes de la maladie d’Alzheimer.
Environ 120 personnes y résideront, accompagnées d’un personnel soignant spécialisé et formé à des thérapies non médicamenteuses. Les malades pourront être accompagnés pour faire leurs courses et seront incités à développer une vie sociale et des activités physiques, à leur rythme.
L’expérience pionnière du village d’Hogeweyk, aux Pays-Bas, a inspiré Henri Emmanuelli, alors président du Conseil départemental des Landes. Il a persuadé l’État et le département de lancer une expérimentation en France et d’y ajouter un pôle de recherche scientifique, ce qui sera inédit en Europe. La construction du centre devrait coûter quelque 28 millions d’euros, avec un budget de fonctionnement annuel de près de 7 millions. Le séjour devrait être facturé 60 euros la journée, un tarif équivalent à celui d’un Ehpad traditionnel.
Peut-on espérer qu’habiter dans un tel village puisse guérir ces personnes ? Non, répond Jean-François Dartigues, neurologue et épidémiologiste au CHU Pellegrin à Bordeaux , qui supervise le suivi scientifique de ce projet, mais cela allègera le quotidien et la souffrance liée au handicap.
France 24 : En quoi la sociabilité des personnes atteintes d’Alzheimer est-elle primordiale ?
Jean-François Dartigues : La maladie n’est pas que biologique, elle est aussi psychologique et sociologique. Le cerveau est un organe de relations. La qualité de la vie sociale, le maintien des liens, peut contribuer à ce que le cerveau fonctionne mieux. Plusieurs études démontrent la plasticité du cerveau à tous les âges de la vie. Apprendre le jonglage à trois balles, par exemple, peut modifier votre matière grise et épaissir les régions spécialisées dans la vision et la coordination des mouvements, dès trois mois de pratique. L’apprentissage de la lecture, même à l’âge adulte, améliore le fonctionnement du cerveau. C’est un pari ! C’est à nous, scientifiques, d’aller plus loin. C’est en cela que le village de Dax se différencie de ce qui a été expérimenté aux Pays-Bas : il y aura un pôle scientifique rattaché au centre hospitalier et universitaire de Bordeaux, ouvert à des chercheurs de toute la France et d’Europe, qui suivra de près l’évolution des patients dans ce cadre. L’idée séduit des équipes de recherche belges, danoises et britanniques, qui travaillent dans le même sens .
Avez-vous déjà eu des exemples concluants d’accompagnement des malades dans votre pratique scientifique ?
Nous travaillons depuis dix ans sur les thérapies non médicamenteuses et comparons les évolutions cognitives dans la prise en charge des patients. L’étude que nous avons menée n’a pas été aussi concluante que ce que nous espérions, parce que nous nous étions trompés dans les critères de jugement. On avait placé le critère cognitif en numéro un. Il s’est avéré que l’accompagnement individualisé améliore sensiblement la vie quotidienne, aide au maintien à domicile, allège le fardeau ressenti par les proches et réduit les troubles du comportement, mais que les capacités cognitives n’ont pas bougé. Nous nous étions trompés de critère numéro un. Au final, qu’est-ce qui est le plus important, qu’est-ce qui rend heureux ? L’évolution du cerveau ou la qualité de vie ? Se souvenir qu’on a fait du vélo, ou faire du vélo ?
Sur quoi porteront les recherches du pôle scientifique du "village Alzheimer" ?
Il y aura un pôle à l’intérieur du village, qui travaillera sur l’apport des nouvelles technologies dans le fonctionnement du quotidien, le repérage spatial, l’aide aux courses, le suivi des activités physiques… Je superviserai, quant à moi, le pôle externe : nous évaluerons l’impact du village sur la santé des résidents, des soignants, des familles et des bénévoles. Pour mesurer cet impact, il faudra comparer avec des patients pris en charge dans des institutions traditionnelles, voire au domicile.
Nous étudierons également l’évolution des représentations que nous avons de la maladie d’Alzheimer et de la prise en charge dans les Ehpad : cette représentation est actuellement catastrophique dans l’esprit des malades, des familles et des soignants. Le "village Alzheimer" de Dax, nous l’espérons, transformera la vision que nous avons des lieux de prise en charge. D’ailleurs, hier matin [mardi 5 juin], alors que je répondais aux questions des auditeurs sur la radio France Bleu Gascogne, une femme a appelé pour dire qu’elle passait devant le chantier régulièrement et que la perspective de ce village la rendait "heureuse". D’autant qu’elle disait présenter des risques de développer la maladie d’Alzheimer.
Jusqu’à aujourd’hui, les autorités sanitaires se sont comportées en shadocks : tant qu’il n’y a pas de solution, il n’y a pas de problème. On cherche à oublier ces maladies. Quand le ministère de la Santé annonce que la Sécurité sociale ne va plus rembourser les médicaments de traitement des symptômes d’Alzheimer [décision prise par la ministre Agnès Buzyn, et qui sera effective le 1er août 2018, NDLR], on cherche à faire comme si cette maladie n’existait pas. Avec ce village, j’espère que le regard porté sur les vieilles personnes va changer.