Le candidat de la droite, Iván Duque, aborde le premier tour de l'élection présidentielle colombienne en favori. Il promet d'incarner le changement, de relancer l'économie et surtout de réviser l'accord de paix avec l'ex-guérilla Farc.
La presse colombienne le surnomme le "Macron d'Amérique latine". Iván Duque, 41 ans, est l'actuel favori à l'élection présidentielle de Colombie dont le premier tour doit avoir lieu dimanche 27 mai. Ce protégé de l'ancien président Alvaro Uribe (2002-2010) a toutes les chances de succéder à Juan Manuel Santos, dont il promet de réformer l'accord de paix signé avec l'ex-guérilla marxiste des Farc.
Pour Frederic Masse, ancien universitaire et spécialiste de la Colombie, la comparaison avec l'actuel président français n'est pas dénuée de pertinence : Iván Duque a une seule année de plus qu'Emmanuel Macron. Comme lui, Il a travaillé dans le secteur bancaire –11 ans à la Banque interaméricaine de développement (BID). Les deux hommes sont relativement novices en politique, le premier mandat d'Ivan Duque comme sénateur ne datant que de 2014. "Idéologiquement, ils sont tous les deux de centre-droit, promouvant l'économie de marché et la liberté d'entreprendre", ajoute cet expert, établi en Colombie depuis 20 ans, à France 24.
Quiero que Colombia sea un país de emprendimiento. Un país de micro, pequeñas, medianas y grandes empresas, que no estén asfixiadas por impuestos, que podamos bajar impuestos y mejorar salarios. #ElFuturoEsDeTodos pic.twitter.com/k0MdNyqO1F
Iván Duque (@IvanDuque) 25 mai 2018Sur son site de campagne, le candidat à la fonction suprême se définit comme "un Colombien fier de l'être, qui croit en Dieu". Il se dit aussi "normal", "sérieux, conservateur, très attaché à sa famille et travailleur". Normal pour le champion du Centro democratico (CD), une coalition disparate où se mêlent anciens du parti conservateur, déçus du parti libéral, opposants aux accords de paix et évangélistes. Cette droite uribiste, du nom de l'ancien président Uribe, l'avait largement emporté lors des élections législatives de mars.
Sa relative inexpérience politique constitue un point d'attaque de ses concurrents : Gustavo Petro, ancien maire de gauche et ex-guérillero du M-19, et German Vargas Lleras, ancien vice-président colombien (2014-2017). Ce dernier l'a d'ailleurs qualifié de "poussin". Une vilaine rumeur a également tourné sur les réseaux sociaux affirmant qu'Ivan Duque se serait teint les cheveux en gris pour se vieillir. Pour ne pas être la risée de tous, il a fait témoigner un coiffeur pour le disculper.
Face à ces critiques, le jeune candidat joue la carte de l'humour pour promouvoir un autre de ses engagements : la lutte contre la corruption. "Je n'ai aucune expérience... de la corruption, aucune expérience du clientélisme, aucune expérience des magouilles politiques", plaisantait-il en mars dernier.
Le spectre d'Uribe plane depuis 20 ans sur la Colombie
Mais, aux yeux des plus de 36 millions d'électeurs colombiens, il bénéficie surtout de l'aura d'un parrain de poids : l'ex-président Alvaro Uribe, 65 ans, autour duquel gravite l'ensemble de la politique colombienne depuis ses deux mandats (2002-2010). Cet homme issu du parti libéral a dirigé pendant huit ans le pays d'une main de fer, écrasant les guérillas et amnistiant les milices paramilitaires. Une gestion qui flirte souvent avec les limites du droit : l'ancien président est mis en cause dans plusieurs scandales le liant au narcotrafic et aux milices paramilitaires.
S'il n'a pas plus le droit de se représenter à cause de la Constitution, son ombre a continué de planer sur les scrutins suivants. En 2012, Juan-Manuel Santos s'était présenté comme le continuateur de son travail mais Alvaro Uribe s'est vite estimé trahi par la décision de son premier dauphin de négocier la paix. En 2014, il présente donc un nouveau poulain, Óscar Iván Zuluaga, contre son ancien ministre. Mais ce dernier échoue au second tour. Cette fois, "le papa de la Colombie" – comme le surnomment les chauffeurs de salles des meetings – a adoubé le jeune Ivan Duque qu'il présente comme "une chance pour la patrie".
Il est l'un des fidèles de l'ancien président à qu'il doit sa carrière : "Avant, il était aussi proche de Juan Manuel Santos que d'Alvaro Uribe, mais lorsque les deux se sont fâchés, il n'y pas eu d'hésitation", raconte Frederic Masse. "Son choix a été plus personnel qu'idéologique. Il doit tout à Uribe, y compris le poste qu'il a obtenu à la BID et son élection comme sénateur sur la liste du CD".
Une proximité dont la presse et les opposants font des gorges chaudes. Des caricaturistes en font même une marionnette d'Uribe. Lui répond : "Je serai le président et je prendrai les décisions." Sous-entendu, personne ne lui murmurera à l'oreille s'il est élu.
Pourtant, l'avocat de formation reprend tous les thèmes classiques de son mentor : main de fer contre les guérillas, opposition à Cuba et au Venezuela qu'il nomme le castro-chavisme, conservatisme en matière de drogues, de sexualité et d'avortement.
"Relancer l'économie, défendre la sécurité, critique du chavisme du Venezuela, lutte contre la corruption. Au fond, il fait une campagne assez sobre et plane", résume Sophie Daviaud, enseignante-chercheuse à Sciences Po Aix, pour France 24. "Il n'y a pas eu d'annonces originales et fortes."
L'accord de paix avec les Farc dans la mire de Duque
S'émancipera-t-il de son mentor ? La question divise les analystes et la presse colombienne. Une chose est sûre : sur la question du futur à donner à l'accord de paix signée avec les Farc en 2016, Ivan Duque se démarque déjà de son maître. Si Alvaro Uribe avait promis de "déchirer l'accord en mille morceaux", le disciple se montre plus mesuré : en cas d'élection, il veut le "reformer".
"Il souhaite faire modifier la plupart des points qui avaient été des sujets brûlants lors des négociations : il ne veut pas que les anciens Farc accusés de crime contre humanité puisse participer à la vie politique, il veut que les guérilleros soient jugés, il veut également que ceux ayant trempé dans le narcotrafic soient condamnables", détaille Sophie Daviaud.
#ElDebate| Todos queremos la paz, pero con justicia. Siempre se dijo que los máximos responsables no llegarían al Congreso sin pasar por la justicia y hoy han llegado. Lo que yo quiero es que no haya ausencia de penas y que las víctimas sean verdaderamente reparadas. pic.twitter.com/9FuQioPu6K
Iván Duque (@IvanDuque) 25 mai 2018Sur les éventuelles conséquences qu'aurait la remise en cause de l'accord de paix, les deux spécialistes de la Colombie interrogés par France 24 ont des avis différents. Sophie Daviaud craint qu'une réforme de celui-ci ne mène à une déstabilisation d'un pays qui peine à tourner la page du conflit fratricide l'ayant agité durant plus d'un demi-siècle et qui a fait au moins huit millions de victimes entre morts, disparus et déplacés.
"Ce scénario me fait assez peur. L'élection de Duque aura d'emblée des effets sur les Farc. Plusieurs dirigeants ont dit qu'ils reprendraient les armes si cela devait se produire", explique l'enseignante-chercheuse. "Ils se sentent déjà extrêmement menacés. On dénombre une trentaine de Farc tués. La situation est très tendue. Le nombre de bandes dissidentes des Farc pourrait exploser en cas d'élection de Duque."
Frederic Masse croit moins à la déstabilisation du pays : "Il va freiner pour l'application des accords mais le risque que Duque bascule vers la droite dure et mène une politique rétrograde menant à la déstabilisation de la paix n'est pas exclue mais néanmoins peu probable", analyse-t-il.
Iván Duque espère marcher dans les pas de son maître en raflant une élection dès le premier tour dimanche 27 mai. Loin d'être gagné si on en croit les derniers sondages qui le place avec 41 % des votes en ballotage favorable face à Gustavo Petro. Mais si le referendum sur l'accord de paix de 2016 a prouvé une chose, c'est que les sondages sont loin d'être infaillibles.