Pour tenter de former un nouveau gouvernement, Carles Puigdemont a désigné un certain Joaquim Torra pour présider la Catalogne. Ce novice en politique qui incarne l’aile dure des indépendantistes doit être élu au Parlement régional d’ici à lundi.
En désignant jeudi 10 mai Joaquim Torra i Pla pour présider la Catalogne, l’ancien président catalan Carles Puigdemont a déclenché le plan D. À défaut de sa propre candidature bloquée par Madrid en janvier, celle de Jordi Turrull, incarcéré depuis mars 2018, ou encore celle de Jordi Sanchez, en détention provisoire depuis le référendum unilatéral de la région en octobre 2017, le leader indépendantiste a fini par proposer une nouvelle candidature : celle d'un député de 55 ans qui a fait ses débuts en politique il y a quelques mois seulement.
Ce choix par défaut s’avère surtout stratégique pour les séparatistes qui ont jusqu’au 22 mai pour investir le 131e président de la région – faute de quoi de nouvelles élections régionales devront être programmées. Toujours exilé en Allemagne et dans l’attente de son extradition vers l’Espagne, Carles Puigdemont sait que les différents partis indépendantistes majoritaires au Parlement, à savoir sa formation Junts per Catalunya (34 sièges), la gauche républicaine ERC (32) et même le parti d’extrême-gauche la CUP (4), vont pouvoir se mettre d’accord autour de Quim Torra, nom de plume de cet avocat devenu écrivain, éditeur, puis député de Barcelone en décembre dernier.
"Indépendantiste inconditionnel"
Rapidement, ce natif de Blanes – ville côtière de la Costa Brava – s’est illustré au Parlement pour ses talents d’orateur et ses convictions indépendantistes bien ancrées. Derrière de grandes lunettes noires qui barrent son large front, l’homme à la carrure imposante avait lancé de la tribune en mars dernier : "La cause de la liberté de la Catalogne est une cause juste, la cause de l'indépendance de la Catalogne est une cause juste, la cause de la République catalane est une cause honorable". Avant d’ajouter : "Pas un instant, nous ne pensons renoncer, pas même d'un millimètre, à défendre la justice, la légitimité et l'honorabilité de cette cause, au contraire".
Ceux qui le connaissent parlent d'un personnage éduqué qui sait écouter. Quim Torra, qui n'a pas fait allégeance à un parti en particulier, se définit comme "un indépendantiste émotif et inconditionnel", selon le quotidien espagnol El Pais. "La loyauté envers la terre dépasse les convictions", se plait à répéter celui qui a un temps vécu en Suisse pour les affaires. En 2008, il revient dans sa région de cœur fonder une maison d'édition, A Contra Vent, spécialisée dans la récupération de textes de journalistes catalans de la Seconde république espagnole (1931-1939) et de l'exil sous la dictature de Franco. À l’époque, il se rend régulièrement à la Bibliothèque nationale de Catalogne pour consulter des ouvrages et auteurs des années 1920 et 1930 et ainsi "comprendre le moment culminant de cette région cosmopolite", décrypte le journal catalan La Vanguardia.
Plus militant que politicien
Ces dernières années, Quim Torra a placé ses idées au service de la culture en présidant l'entité Souveraineté et Justice dédiée à la promotion de l'indépendance. En 2011, il fait partie de la direction de la puissance association ANC, organisatrice d'immenses manifestations indépendantistes avant de diriger l’année suivante le centre culturel Born à Barcelone, controversé à l’époque pour avoir relayé les revendications nationalistes. Il préside également provisoirement, en 2015, l'association indépendantiste Omnium Cultural, avant d'en céder la présidence à Jordi Cuixart, qui a depuis été placé en détention provisoire. Tous ses livres, discours et actions respirent le séparatisme au point que certains voient en lui plus un militant culturel qu’un politicien.
Reste que plusieurs de ses positions heurtent une grande partie de l’opposition, qui n’a pas manqué de déterrer quelques-uns de ses tweets polémiques à l’annonce de sa candidature, qui auraient été effacés depuis. Plusieurs médias ont compilé les plus controversés : "De toute évidence, nous vivons occupés par les Espagnols depuis 1714" ; "Les Espagnols ne savent que piller" ; "Surtout, ce qui est surprenant, c'est le ton, les mauvaises manières, la charcuterie espagnole, le sentiment d'immondices" ; "L'embarras est un mot que les Espagnols ont retiré de leur vocabulaire il y a des années" ; "Entendre Albert Rivera parler de moralité, c'est comme entendre les Espagnols parler de démocratie".
Estem parlant d’aquest Quim Torra? pic.twitter.com/dbdHZXebJT
Marc Rius (@MarcRius1) 10 mai 2018Mandat par intérim
L’opposition voit dans ce choix la volonté des indépendantistes de refuser toute normalisation politique, voire même de perpétuer l’affrontement avec Madrid. "Nous regrettons que le bloc indépendantiste ait choisi une personne avec l'un des profils les plus sectaires", a affirmé le Parti socialiste catalan dans un communiqué. Le socialiste catalan Miquel Iceta l'a appelé à "penser à l'ensemble du pays et pas seulement aux indépendantistes" qui ont obtenu 47,5 % des suffrages dans la région en décembre.
En plus d’être radical, Quim Torra a également été choisi pour sa fidélité envers Carles Puigdemont, qui n’a pas manqué de souligner le caractère "intérimaire" de son futur mandat. "C'est une période provisoire, marquée par les conditions de l'État : les prisonniers politiques, les exilés et la menace permanente de l'application de l'article 155 de la Constitution", a déclaré l'ex-président, qui a expressément demandé à ce que son ancien bureau de la Generalitat ne soit pas utilisé. "Le leader de Junts per Catalunya prendra toutes les décisions à distance”, indique le journal catalan. Si Quim Torra est investi, la Catalogne récupèrera son autonomie après des mois de blocage politique et Carles Puigdemont, lui, pourrait de nouveau revenir dans la partie.