Tous deux en compétition, les drames "Plaire, aimer et courir vite" de Christophe Honoré et "Cold War" du Polonais Pawel Pawlikowski ont en commun de faire de Paris le théâtre privilégié des amours qui se font et se défont.
C'est la question qui agite le tout-Cannes : le Stade Rennais parviendra-t-il à gagner son billet pour la Ligue Europa la saison prochaine ? La Croisette n'en peut plus de savoir tant elle s'est prise d'amour pour la capitale bretonne (et donc son club de football). En un rien de temps, la ville est effectivement devenue le summum de la "hype" depuis que les festivaliers ont eu l'insigne honneur d'en découvrir les plus beaux atours dans le magnifique film de Christophe Honoré en lice pour la Palme d'or, "Plaire, aimer et courir vite". Rennes donc, ville cinégénique si l'en est avec son jardin du Thabor (sublime), son Parlement de Bretagne (frisson), sa Vilaine (c'est le nom de la rivière qui la traverse, merci de ne pas juger), et sa sandwicherie Le Rencart, particulièrement prisée des noctambules qui viennent s'y repaître du fameux Scoubidou, soit un double steak-frites fourré dans une demi-baguette ("avec de la sauce américaine, s'il vous plaît"). On l'aura compris, l'auteur de ces lignes connaît bien la ville. Ce qui est loin d'être anodin pour un spectateur amené à voir un film touchant d'aussi près à l'intime.
Car Rennes, c'est aussi la ville de jeunesse de Christophe Honoré. Tout porte ainsi à croire que "Plaire, aimer et courir vite", son 11e long-métrage, est son film le plus autobiographique. On devine que le personnage d'Arthur (interprété par Vincent Lacoste), étudiant rennais de 22 ans aimant la littérature et le cinéma, est un peu son double de cinéma. Son double de jeunesse. Nous sommes en 1993, Arthur rencontre Jacques dans une salle projetant "La Leçon de piano" (tiens, une Palme d’or). Il en tombe amoureux. Jacques (Pierre Deladonchamps), de 13 ans son aîné, est un écrivain vivant à Paris, pur produit de l’intellectualisme germano-pratin. Il est atteint du sida. Comme certains de ses anciens amants qui succombent un à un à la maladie. Arthur s’en fiche bien et se montre bien décidé à vivre pleinement une idylle pleine de promesse.
Chouchen, fest-noz et beurre salé
La première partie du film sera celle d’une amourette éprouvée à distance, entre la Bretagne, où Arthur déborde d’énergie et d’assurance en lui et en son avenir, et la capitale française, où Jacques apprend que ses jours sont comptés. La seconde partie est celle de l’apprentissage de l’amour et du deuil, avec Paris pour point d’ancrage définitif où l’étudiant détonne par sa décontraction de jeune provincial heureux de faire le grand saut, tel un Rastignac venu de Bretagne (à ce sujet, les références clichetonneuses sur la région ––chouchen, fest-noz et beurre salé–- pourraient agacer si, à force d’être répétées, elles ne finissaient par produire un réjouissant running-gag).
"Plaire, aimer et courir vite" n'a pas de beau que son titre. Tout y est sublime : sa bande son des années 1990 (Prefab Sprout, Cowboy Junkies, Massive Attack…), cette teinte bleutée dont l’image ne se départ jamais, sa légèreté malgré la mort qui hante. Les dialogues sont un délice qui rappelle les échappées verbales d’un Jean-Pierre Léaud chez Jean Eustache (voir la séquence où le jeune Arthur fait un parallèle entre la lecture et les ébats sexuels dans les toilettes d’une boîte de nuit). Enfin, les acteurs y sont formidables. Le duo Deladonchamps-Lacoste fonctionne à merveille (auquel il faut ajouter Denis Podalydès impeccable, comme toujours, dans son rôle de vieil homo ronchon). Nous n’aurions misé sur la capacité du grand dadais Vincent Lacoste à toucher aussi juste dans un drame intimiste. Que de chemin parcouru par le jeune acteur depuis sa première apparition sur grand écran, il y a près de 10 ans, avec "Les Beaux Gosses", hilarant "teen-movie" à la française tourné, on vous le donne en mille, à Rennes (la boucle est bouclée).
Paris-Varsovie, liaison impossible
Quittons la liaison Rennes-Paris pour l’axe Varsovie-Paris. Comme "Plaire, aimer et courir vite" qui l’a précédé dans la compétition, "Cold War" du Polonais Pawel Pawlikowski met en scène une romance-d’entre-deux-villes dont l’un des deux pôles est la capitale française, métropole que le cinéma semble avoir officiellement désignée comme le théâtre des amours qui se font, se défont et se recréent (so romantic).
Nous sommes cette fois-ci en 1949, dans la Pologne communiste. Wiktor (Tomasz Kot) est un compositeur de comédie musicale vantant, à son corps défendant, la grandeur du stalinisme triomphant ; Zula (Joanna Kulig) est chanteuse dans la compagnie qu’il dirige. Il est un talentueux et taiseux pianiste qui n’en peut plus de servir la soupe propagandiste à son public ; elle est une belle blonde fort en gueule qui a écopé d’une peine de prison avec sursis (elle a, dit-on, tenté de tuer son père). Ils s’aiment, mais la Varsovie communiste est trop petite pour vivre un si grand amour. À la faveur d’une représentation donnée à Berlin, Wiktor passe à l’Ouest. Zula reste. Pendant 20 ans, les deux amants ne cesseront de se chercher, se retrouver, se déchirer et s’unir de nouveau. Un amour-passion dysfonctionnel et douloureux (pléonasme), dans une économie narrative somme toute assez bienvenue (le film dure une heure et demie, ce qui, à Cannes, le ferait passer pour un court-métrage).
On se souvient que Pawel Pawlikowski avait remporté en 2015 l’Oscar du meilleur film étranger avec "Ida", drame historique au somptueux noir et blanc. On se souvient aussi que la beauté de l’image sentait un peu trop fort la prouesse technico-esthétique (ou esthético-technique). On se souvient être, à l’époque, sorti de la salle en se demandant si l’œuvre n’était pas trop belle pour émouvoir ("Le beau peut-il nuire à la beauté ?", amis bacheliers, vous avez quatre heures).
Ce sont peu ou prou les mêmes réflexions qui nous ont saisis au sortir de la projection de "Cold War", lui aussi paré d’un gracieux noir et blanc (au format quatre-tiers). Pas un plan qui ne soit savamment composé, élégamment éclairé, subtilement mis en mouvement. Et, donc, pas un plan qui détonne, qui déborde, qui s’échappe. Le film est comme trop engoncé dans son costume d’apparat, comme pris au piège de son bel écrin. On évolue dans le film de Pawel Pawlikowski comme dans un grand restaurant étoilé. Tout y est beau et bon mais un brin compassé. Bref, on se régale mais on s’ennuie. En cuisine comme au cinéma, la perfection est parfois assommante.