
La ministre de la Santé a diligenté, mardi, une enquête pour "faire la lumière" sur la prise en charge défaillante par le Samu, fin décembre, d'une femme de 22 ans, moquée au téléphone par deux opératrices des secours avant de décéder peu après.
Une femme de 22 ans s'est fait rabrouer lorsqu'elle a appelé le Samu de Strasbourg, en décembre dernier. Sa prise en charge tardive n'a pas suffi à empêcher son décès, quelques heures plus tard. Sa famille s'est procuré l'enregistrement de l'appel téléphonique avec le Samu et l'a transmis au site d'information strasbourgeois Heb'di. Devant le tollé provoqué, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a dénoncé, mecredi 9 mai, de "graves dysfonctionnements", tandis que les urgentistes pointent le manque de moyens. Une enquête administrative est en cours.
"La première analyse plaide pour une procédure de traitement d'appels qui n'est pas conforme aux bonnes pratiques, ce qui a conduit à l'ouverture d'une enquête administrative", a indiqué à l'AFP Christophe Gautier, directeur général des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS). Le responsable des HUS a ouvert cette enquête le 2 mai, à la suite de la parution de l'article d'Heb'di, et se donne trois semaines pour la mener à bien.
Le jeudi 3 mai, Christophe Gautier a reçu les membres de la famille de la victime "pour leur faire part de la totale compassion de l'institution" et leur annoncer l'ouverture de cette enquête. "Nous leur devons la totale vérité sur les conditions de prise en charge par le Samu", a affirmé Christophe Gautier, qui dit se tenir aussi "à disposition des autorités judiciaires".
En attendant l'issue de l'enquête, l'opératrice concernée a été affectée à un autre service, "de façon à ce qu'elle ne soit plus sur un rôle de réponse aux patients".
Enquête de l'Igas
"Profondément indignée par les circonstances du décès", la ministre de la Santé Agnès Buzyn a tenu sur Twitter "à assurer sa famille de (son) entier soutien". Elle annonce avoir demandé une enquête de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales) "sur ces graves dysfonctionnements", s'engageant à ce que la famille "obtienne toutes les informations". "Une réunion à ce sujet se tiendra dans les jours qui viennent au ministère", ajoute Agnès Buzyn.
Je suis profondément indignée par les circonstances du décès de Naomi Musenga en décembre. Je tiens à assurer sa famille de mon entier soutien et demande une enquête de I'IGAS sur ces graves dysfonctionnements. Je m'engage à ce que sa famille obtienne toutes les informations .
Agnès Buzyn (@agnesbuzyn) 8 mai 2018Dans un communiqué commun, deux organisations de médecins urgentistes ont demandé mardi "un rendez-vous immédiat" avec la ministre de la Santé "pour trouver des solutions aux problèmes de régulation médicale afin qu'un tel drame ne se reproduise pas".
"Les moyens doivent être mis en place pour avoir des régulations médicales modernes et répondant à des critères de qualité", insistent l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF) et Samu urgences de France (SUDF).
"Ce n'est pas un problème récurrent. Nous sommes fort heureusement dans un épisode rarissime", assure pour sa part le directeur général des hôpitaux universitaires de Strasbourg.
"Je vais mourir"
Les faits remontent au 29 décembre 2017. La jeune femme, seule à son domicile, souffre de fortes douleurs au ventre et compose un numéro d'urgence pour appeler à l'aide. D'abord transférée vers le centre d'appels des pompiers puis vers celui du Samu, elle obtient pour seule réponse de l'opératrice du Samu, qui prend son appel avec dédain, le conseil d'appeler SOS Médecins.
Au bout de plusieurs heures, Naomi Musenga parvient à joindre les urgences médicales, un appel qui déclenche finalement l'intervention du Samu. Emmenée à l'hôpital, elle est victime d'un infarctus puis transférée en réanimation avant de décéder à 17 h 30.
La famille de la jeune femme, qui a écrit au procureur de la République de Strasbourg – l'AFP n'est pas parvenue à le joindre mercredi matin –, a obtenu auprès des Hôpitaux l'enregistrement de son appel téléphonique au SAMU.
Dans ce document sonore, révélé par le site alsacien Heb'di, qui se présente comme lanceur d'alerte dans la région, on entend Naomi Musenga s'exprimer avec peine, elle semble à bout de force. "J'ai mal au ventre", "J'ai mal partout", "Je vais mourir...", dit-elle en soupirant.
"Vous allez mourir, certainement un jour comme tout le monde", lui répond l'opératrice, qui la renvoie vers SOS Médecins, retardant le déclenchement des secours.
On entend également les échanges qui précèdent. Naomi est moquée en aparté par l'opératrice qui régule les appels du Samu et une femme du Centre de traitement des alertes (CTA) des pompiers du Bas-Rhin.
"- La dame que j'ai au bout du fil, elle m'a dit, elle va mourir. Si, ça s'entend, elle va mourir.
- Allez, donne-moi le numéro (...)
- C'est sûr qu'elle va mourir un jour, c'est certain, comme tout le monde".
Selon le journal Le Monde qui cite le rapport d'autopsie, Naomi Musenga a succombé à l'hôpital des suites d'une "défaillance multiviscérale sur choc hémorragique" : plusieurs organes ont cessé de fonctionner.
Avec AFP
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