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Après l'incarcération de Lula, qui pour représenter la gauche à la présidentielle brésilienne ?

Orphelin de son fondateur, Lula, incarcéré, le Parti des travailleurs n'a que six mois pour trouver celui qui incarnera la gauche à l'élection présidentielle brésilienne d'octobre. Pris au dépourvu, il en est réduit à l'improvisation.

Enfermé dans une cellule de la police fédérale à Curitiba, dans le sud-est du Brésil, Luiz Ignacio Lula Da Silva, ex-chef d'État entre 2002 et 2010, a promis de poursuivre son combat afin de prouver son innocence et d'être candidat à l'élection présidentielle d'octobre 2018. Ces derniers mois, lors de ses meetings, l'ancien président de 72 ans martelait avec la férocité d'un jeune loup son intention de ne pas abandonner la course si facilement. Mais en coulisses, les noms de ses potentiels remplaçants circulaient déjà.

Pourtant, Alexandre Padilha, vice-président du Parti des travailleurs (PT), cofondé en pleine dictature militaire par Lula en 1980, continuait d'afficher samedi soir son soutien à l'ancien chef d'État. "Il n'y a pas de plan B. Lula est le plan A, il sera président du Brésil". Une manière de continuer de défendre l'innocence du candidat. Techniquement, Lula pourrait faire campagne même derrière les barreaux, et ce serait alors au tribunal électoral de trancher en septembre 2018 sur son éligibilité. Mais si le PT se refuse à parler d'un plan B, c'est avant tout parce qu'il n'en a pas. L'État major du parti est d'ailleurs aux abonnés absents lorsqu'il est interrogé sur sa stratégie pour les présidentielles.

Difficile de marcher dans les pas du héros de la gauche qui, pendant ses deux mandats consécutifs, a présidé une époque bénie où le taux de croissance frôlait les 12 % et où une nouvelle classe moyenne voyait le jour, portée par les réformes sociales de Lula. Déjà, en 2010, l'ancien syndicaliste avait, non sans mal, façonné la candidature et la campagne de Dilma Roussef qui peinait à haranguer les foules, même disciplinées, du Parti des travailleurs. Et aujourd'hui, même incarcéré, Lula reste en tête des intentions de vote avec plus de 20 points d'avance.

Vers un nouveau successeur ou une coalition de gauche ?

Lula a beau être toujours dans le cœur de ses partisans, son parti peine, lui, à réunir sous sa bannière l'ensemble des électeurs de gauche. Il lui reste six mois pour mobiliser autour de son nom et de son aura. Le PT veut donc garder Lula comme symbole, une icône puissante qui pourrait permettre de conserver un électorat uni et sauver la gauche en faisant front ensemble. En effet, même depuis sa cellule, Luiz Inacio Da Silva Lula pèsera fortement sur le scrutin – notamment lors d'un second tour – s'il appelle à voter pour un candidat d'un autre parti.

Le PT a pourtant cherché un plan B. Il y a d'abord eu l'ancien maire de Sao Paulo (2012-2016), Fernando Haddad. Âgé de 53 ans, docteur en philosophie et ex-ministre de l'Éducation (2005-2012), il incarne un renouveau du Parti des travailleurs. À l'écart des scandales, proche des milieux intellectuels urbains, il a cependant échoué à se faire réélire à la tête de la capitale économique du Brésil lors des élections municipales d'octobre 2016, la classe moyenne ayant pris ses distances avec le parti à la suite de l'affaire "Lava Jato", "Lavage Express". Ce scandale, le plus important de l'histoire du Brésil, avait mené à la destitution de Dilma Rousseff.

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Après l'incarcération de Lula, qui pour représenter la gauche à la présidentielle brésilienne ?

Un autre nom circulait dans la presse, celui de Jaques Wagner, un proche de Lula et ancien ministre de Dilma Rousseff. Ex-gouverneur de l'État de Bahia et cofondateur du Parti des travailleurs, il semblait favori en cas d'impossibilité pour Lula de concourrir. Mais il y a quelques semaines, il a été mis en cause dans une opération de police menée par les juges de l'affaire "Lavage Express". Accusé d’avoir reçu environ 20 millions d’euros de pots-de-vin et donations, Jaques Wagner se concentre sur sa stratégie de défense plutôt que sur une potentielle campagne présidentielle.

Dans les enquêtes d'opinion, l'un comme l'autre ne sont crédités que de quelques maigres pourcentages d'intentions de vote.

Un autre candidat très improbable

Selon Mauricio Santoro, professeur en sciences politiques à l'Université d'État de Rio de Janeiro, la fragilité du PT et ses divisions internes rendent la nomination d'un autre candidat que Lula très improbable. Orphelin de son fondateur, pris au dépourvu, il en est réduit à l'improvisation.

Le Parti des travailleurs n'ayant ni le temps ni les ressources pour opérer une profonde restructuration interne, il envisagerait "une coalition, une force sans tête, pour sauver celle de Lula", explique Mauricio Santoro . Une situation inédite dans un pays habitué à voter jusqu'alors pour un homme plus que pour un parti.

À gauche mais en dehors du PT

En cas de coalition, deux noms sont mis en avant à gauche. Le premier, Guilherme Boulos, pré-candidat à la présidentielle pour le PSOL, le Parti du socialisme et de la liberté créé en 2005 à la suite d'une scission au sein du PT. Ce psychanalyste de 35 ans est depuis 2002 le leader du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), une organisation qui lutte pour l'accès au logement des familles les plus modestes, en occupant régulièrement des terrains ou des batiments dans les grandes villes.

L’autre candidat pressenti est un habitué de la politique. Ancien député, gouverneur et surtout ministre de Lula de 2003 à 2006, Ciro Gomes se présente sous les couleurs du Parti Démocratique des Travailleurs (PDT), un parti fondé en 1979 à la fin du régime militaire. Avocat et professeur d’université de 61 ans, Ciro Gomes met en avant un programme économique nationaliste basé sur l’industrialisation favorable au protectionnisme pour réduire la dette publique.

Alors que Guilherme Boulos était présent aux côtés de Lula à Sao Bernardo do Campo le jour de son incarcération, Ciro Gomes, n'a pas marqué son soutien à l’ancien président.

Ces deux candidats n'ont pour l'instant pas réalisé de percée dans les enquêtes d'opinion : 7 % pour Ciro Gomes et moins de 1 % pour Guilherme Boulos selon un sondage réalisé par Data Folha en décembre 2017.

Une classe politique en manque de renouveau

La gauche affiche pour l'instant son soutien à Lula, de nombreuses personnalités politiques étaient présentes lors de son ultime discours avant de se rendre à la police fédérale et son transfèrement vers la prison de Curitiba. Mais combien de temps encore les sympathisants de gauche vont-ils soutenir le "héros du peuple" ?

"C'est un moment triste dans l'histoire du Brésil", estime Mauricio Santoro. Pour lui, l'incarcération de Lula accroît la crise de confiance de la population envers la classe politique. De plus, avec les scandales de corruption impliquant des personnalités de tous bords, l'élection présidentielle d'octobre ouvre un boulevard aux extrêmes, qu'il s'agisse des nostalgiques de la dictature militaire ou des chrétiens évangélistes.