
Emmanuel Macron a dévoilé jeudi les contours de son ambition dans le secteur de l’intelligence artificielle. Mais quels sont les atouts de la France face aux mastodontes américains et chinois ?
Un milliard et demi d’euros vont-ils faire de la France un champion de l’intelligence artificielle (IA) ? C’est la somme que le gouvernement veut consacrer au développement de ce secteur d’ici la fin du quinquennat, a déclaré le président Emmanuel Macron, lors de son discours à l’occasion de la journée “AI for Humanity” au Collège de France, jeudi 29 mars. Une annonce faite dans la foulée du rapport remis par le mathématicien et député du parti présidentiel (LREM), Cédric Villani.
Ce document de 240 pages contient les recommandations pour atteindre l’objectif du président français de faire du pays “un leader de l’intelligence artificielle”. “Nous sommes dans un monde de données et l’intelligence artificielle est une des clefs du pouvoir de demain”, écrivent les auteurs du rapport. Impacts économiques et enjeux éthiques de l'IA, secteurs où la France a le plus de chance de tirer son épingle du jeu (éducation, santé, agriculture, défense), place de la politique industrielle dans le développement de cette technologie : le rapport Villani ne manque pas d’ambitions.
Des têtes bien faites
Et il en faudra. Car la concurrence est féroce. Les États-Unis disposent des Google, Facebook ou encore Microsoft qui sont à la pointe de l’algorithme et Pékin dépense entre 5 et 7 milliards de dollars par an pour doper l’IA “made in China”. “C’est sûr que nous ne sommes pas les premiers dans le domaine”, a reconnu Antoine Petit, directeur du CNRS, à la tribune du Collège de France face à Sam Altman, le responsable américain d’Y Combinator, le plus célèbre accélérateur de start-up de la Silicon Valley.
Face à cette force de frappe, le milliard et demi d’euros promis par Emmanuel Macron peut sembler ridicule. Mais la France espère bien que l’argent ne sera pas le nerf principal de cette bataille. “Notre avantage principal est l’excellence de la formation mathématique qui fournit des bons spécialistes prédisposés à briller dans l’intelligence artificielle”, souligne auprès de France 24 Sylvain Duranton, directeur du BCG Gamma, l’entité du Boston Consulting Group spécialisée dans l’intelligence artificielle.

L’Hexagone peut donc compter sur une armée de petites mains savantes prêtes à prendre d’assaut le marché. “Ce savoir-faire académique s’oriente de plus en plus vers le privé, ce qui fait que la France a les moyens d’être compétitive”, assure à France 24 Xavier Lorphelin, associé du fond d’investissement Serena Capital, dont l’une des spécialités est l’intelligence artificielle. Surtout que, d'après lui, la révolution de l'IA n'en est qu'à ses débuts et qu'avoir une main d'œuvre qualifiée peut faire la différence dans la course à l'innovation.
Encore faut-il que ces ingénieurs restent sur le sol français. Facebook n’est pas le seul géant étranger de l’Internet à avoir débauché un Français (Yann LeCun) pour diriger son équipe consacrée à l’intelligence artificielle. “Lorsqu’en début de carrière dans la recherche publique, un expert en IA touche à peine 3 000 euros brut par mois alors que des grands groupes étrangers offrent le triple, la tentation de partir est grande”, reconnaît Antoine Petit.
Ce risque de fuite des cerveaux n’a pas échappé aux auteurs du rapport Villani qui préconisent, entre autres, le “doublement des salaires de début de carrière”. Une recommandation qui a déjà fait grincer des dents à l’Élysée.
Pour Xavier Lorphelin, la fuite des cerveaux est, de toute façon, un débat beaucoup moins pressant que celui de leur nombre. “On doit accélérer la formation des ingénieurs car, à ce niveau-là on est vraiment en retard”, juge-t-il. Les cerveaux sont donc brillants, mais trop rares. Un constat partagé par Guillaume Leboucher, fondateur de la start-up spécialisée dans l’intelligence artificielle OpenValue, interrogé par France 24. “Il nous faudrait entre 5 000 et 10 000 ingénieurs supplémentaires dans ce domaine, rien que pour absorber les besoins nationaux”, affirme cet entrepreneur.
Un petit supplément d’éthique
Si le savoir-faire ne suffit pas, la France a une autre carte à jouer : l’éthique de l’intelligence artificielle. Les mésaventures de Facebook, empêtré dans le scandale Cambridge Analytica, a prouvé qu’une utilisation des données guidées uniquement par le profit peut jouer de mauvais tours à la réputation d’une entreprise. “La confiance [des utilisateurs] va devenir un actif essentiel des entreprises dans le secteur de l’intelligence artificielle. Les algorithmes développés dans des régimes autoritaires ou dans des pays où les entreprises font n’importe quoi avec les données, ne seront pas ceux qui s’imposeront au final”, assure Sylvain Duranton. C’est aussi l’avis de Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État en charge du Numérique, qui a estimé “qu’entre un service qui recueille les données sans qu’on sache comment elles sont utilisées et un autre, un peu plus cher, mais qui garantit la protection de la vie privée, je sais lequel je choisirais”.
Pour cela, il faut “un cadre juridique qui établisse clairement les règles du jeu pour tous”, ajoute Sylvain Duranton. Tous les acteurs interrogés estiment que c’est un chantier à mener au niveau européen. “Si la France agit seule dans son coin, ces règles risquent simplement d’être un frein par rapport à d’autres pays qui ne s'embarrassent pas de telles précautions, mais la situation est tout autre si c’est l’Europe qui pèse de tout son poids”, souligne Sylvain Duranton.
Tous estiment que la meilleure chance de la France face aux mastodontes américains ou chinois est de la jouer collectif au sein de l’Europe. Une manière de reconnaître que les atouts français ne suffisent pas pour être un des rois de l’IA. Mais cela ne veut pas dire que l’Hexagone soit condamné à être une voix parmi d’autres en Europe, veut croire le ministre français de l’Économie. Pour lui, le chemin tracé par le rapport Villani et l’ambition affichée par le président peuvent faire de la France la locomotive européenne de l’IA.