Le lieutenant-colonel Beltrame tué vendredi dans l'Aude s’est mis en première ligne pour sauver des otages. Alors qu'un hommage national est prévu en son honneur, retour sur un parcours brillant, fauché trop tôt.
Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame était sur une trajectoire d’excellence. Brillant, admiré et respecté de ses hommes, il semblait promis à un avenir aux plus hauts sommets du maintien de l’ordre français dans la gendarmerie nationale… ou à une fin héroïque. C’est celle qu’il a connue dans la nuit de vendredi 23 à samedi 24 mars 2018, à la suite des attaques de Carcassonne et de Trèbes.
Il se porte volontaire pour se substituer à une femme retenue en otage
Le lieutenant-colonel Beltrame fait partie des gendarmes appelés à intervenir, plus tôt dans la journée, alors qu’une attaque est en cours dans un supermarché de Trèbes, à 8 km de Carcassonne.
Il entre dans le Super U et se porte volontaire pour se substituer à une femme retenue en otage par Radouane Lakdim, un jeune délinquant se revendiquant du groupe État islamique. Le terroriste accepte et, trois heures plus tard, lui tire dessus à plusieurs reprises avant que les policiers du GIGN, alertés par le téléphone portable d’Arnaud Beltrame resté allumé, ne lancent l’assaut et neutralisent le terroriste. Arnaud Beltrame succombera à ses blessures dans la nuit, à l’hôpital.
Cet acte de bravoure, salué unanimement samedi, n’a surpris personne parmi ses proches. L’héroïsme faisait partie intégrante de sa personnalité, à écouter sa mère qui s’exprimait sur RTL vendredi, avant qu’il ne succombe à ses blessures à l’hôpital : "Cela ne m’étonne pas de lui (…). Je savais que c’était forcément lui [le gendarme qui s’était substitué aux otages, dont l’identité n’avait pas été immédiatement révélée]. Ben oui, je sais bien, il a toujours été comme ça, murmure-t-elle comme résignée. C'est sa raison de vivre : défendre la patrie. C’est Arnaud, c’est tout."
Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame nous a quittés.
Mort pour la patrie.
Jamais la France n’oubliera son héroïsme, sa bravoure, son sacrifice.
Le coeur lourd, j’adresse le soutien du pays tout entier à sa famille, ses proches et ses compagnons de la @Gendarmerie de l’Aude. pic.twitter.com/I1h8eO7f9a
Parcours modèle
Né à Étampes, en Essonne, Arnaud Beltrame a le parcours immaculé de ceux qui savent où ils veulent aller. L'École militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, d’abord, d’où il sort major en 1999, auréolé du respect de ses supérieurs qui voient en lui "un militaire qui 'se bat jusqu'au bout et n'abandonne jamais'", rapporte le communiqué de l’Élysée publié samedi. Puis l'École des officiers de la gendarmerie nationale, sur deux ans, qu’il quitte également major.
Ensuite, le gendarme déroule, intègre le GSIGN (actuel GIGN) en 2003. Il est déployé en Irak en 2005 comme parachutiste, où il reçoit "la croix de la valeur militaire avec citation à l'ordre de la brigade", poursuit l’Élysée, dont il assurera d’ailleurs la sécurité pendant quatre ans en tant que Commandant de compagnie au sein de la Garde Républicaine, avant de prendre le commandement, en 2010, de la compagnie d'Avranches, dans la Manche.
Il y passera quatre ans. "[Ma] meilleure affectation, et [mon] meilleur commandement en dix-ans ans de carrière. Quelle fierté pour moi !", confiera-t-il à l’époque au journal Ouest France, avant de changer de poste à nouveau.
"Un mec bien, humain"
Nommé conseiller au secrétaire général du ministère de l'Écologie en 2014, il doit alors "assurer la liaison entre la gendarmerie et le secrétariat du ministère de l’écologie sur tout ce qui peut se passer en France", décrit-il.
À la même époque, il tente également d’intégrer la très prestigieuse École de guerre, expliquant que même en cas de succès, il repartirait "sur le terrain", sa vocation. L’histoire ne dit pas s’il se place parmi les 30 lauréats sur près de 2 500 candidats, car, entre-temps, il est promu lieutenant-colonel en 2016 et maintenu à son poste au ministère jusqu’en 2017.
C’est alors qu’il est muté dans le Languedoc, pour y rejoindre Marielle, sa compagne vétérinaire près de Narbonne, ainsi que les gendarmes de l’Aude, près de 600 hommes dont il sera le numéro 3. Après sa mort, ses hommes décrivent "un mec bien, humain avec ses troupes", un officier "énergique" et "dévoué", détaille Le Monde. "C'est un homme qui n'a peur de rien, qui va à l'affrontement, qui est présent", décrit de son côté Guénaël Huet, ancien député de la Manche, cité par Ouest France. Un vrai chef, qui "fédérait les énergies derrière lui", résume au Monde le lieutenant-colonel Dominique Brajon.
L'ensemble des drapeaux et étendards de la gendarmerie sera mis en berne aujourd'hui. Ce décès en mission nous rappelle la valeur de l'engagement qui est le nôtre, au quotidien, pour protéger la population.Toutes nos pensées accompagnent son épouse et ses proches. Richard Lizurey
GendarmerieNationale (@Gendarmerie) 24 mars 2018Sans le savoir, ce chef avait pris les devants de son destin et organisé, en décembre 2017, un exercice de gestion de de tuerie de masse prenant place dans un décor de supermarché. "On veut être au plus proche des conditions réelles, donc il n'y a pas de scénario préétabli", expliquait alors le lieutenant-colonel à La Dépêche du midi. Vendredi, en s’avançant vers le terroriste du Super U de Trèbes, il était probablement conscient "qu’il n’avait pratiquement aucune chance" de s’en sortir vivant, estime son frère Cédric, qui s’est exprimé sur RTL.
Sans enfants, Arnaud Beltrame avait néanmoins beaucoup à sacrifier. Il s’apprêtait à épouser Marielle à l'église, après l’avoir fait à la mairie. Le prêtre qui devait célébrer le mariage était auprès de lui et de sa femme, à l’hôpital, vendredi. "Je lui ai donné le sacrement du mariage, et le sacrement des malades", a confié au Monde l’homme de foi qui a prié, dans la nuit, "pour que ce mariage ait lieu".
Au moment de quitter sa précédente affectation d’Avranche, Arnaud Beltrame disait sa satisfaction du "devoir accompli […] grâce à [ses] hommes, chacun à leur niveau, tous dévoués, professionnels, réactifs et toujours là quand [il avait] besoin d’eux". Pour sa dernière mission, sauver les otages de Trèbes, il incarna cet idéal de dévouement, au prix de sa propre vie.
Un hommage national sera rendu à Arnaud Beltrame, a annoncé samedi l'Élysée. "Le président de la République a décidé qu'un hommage national serait organisé en l'honneur du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, qui a fait le don de sa vie pour protéger nos concitoyens", a déclaré la présidence à l'issue de la réunion d'un conseil restreint de Défense.