
Il y a sept ans ce jeudi débutait le conflit en Syrie. Les reporters de France 24 qui se sont rendus sur place reviennent sur leurs expériences et livrent leur analyse sur le futur d'un pays toujours plongé dans le chaos.
Matthieu Mabin, grand reporter à France 24, est allé quatre fois en Syrie pour couvrir le conflit
"Ce qui a probablement trompé la diplomatie occidentale, c’est l’enthousiasme que suscitaient les printemps arabes en 2011. Il a probablement conduit les diplomaties occidentales à sous-estimer le dossier syrien. Débarrasser la Libye de Kadhafi, c’était facile, mais s’attaquer à Bachar al-Assad et à l’équilibre fragile de la région syro-libanaise était un dossier beaucoup plus lourd qui a conduit les diplomaties occidentales à se dédire à et une prise de conscience tardive.
Les acteurs de la révolution syrienne ont été conduits à assumer seul au prix du sang cette révolution. Cela les a conduits à la radicalisation. J’ai souvent entendu : 'Nous ne vous pardonnerons pas de nous avoir abandonnés. Vous nous avez encouragés à la révolution. Vous nous avez promis de l’argent et des armes. Une fois, que nous nous étions dévoilés face au régime de Bachar, nous ne pouvions qu'aller jusqu’au bout'. Finalement, les seuls qui les ont vraiment soutenus sont ceux qui les ont encouragés à la radicalisation, comme l’Arabie Saoudite et le Qatar. Le choc pour nous a été de travailler avec des gens qui nous parlaient en 2011-2012 de démocratie et de liberté et qui en 2013, nous disaient : 'Ne venez plus, sinon on va vous garder en pyjama orange'."
James André, grand reporter à France 24, s'est rendu deux fois en Syrie, notamment lors de la bataille de Raqqa
"Le califat de l'EI n'existe plus. En revanche, l’idéologie et la revendication politique portées par l’organisation État islamique, à savoir la lutte contre la marginalisation des arabes sunnites de Syrie et d’Irak, sont intactes. Elles sont exactement comme elles étaient en 2011, si ce n’est que maintenant les villes où étaient implantés les jihadistes sont détruites et leurs familles sont décimées. Le risque est que si une solution politique inclusive n’est pas trouvée, un mouvement encore plus brutal pourra renaître des cendres de l’EI".

Roméo Langlois, grand reporter à France 24, a été récompensé en 2016 par le prix Bayeux-Calvados pour son reportage en Syrie, "À l'assaut du califat"
"Depuis le début de la guerre en Syrie, l’Occident a cherché sur le terrain des alliés. Les occidentaux ont d’abord misé sur les rebelles majoritairement sunnites, anti-Bachar al-Assad, mais ils n’ont pas estimé que ces gens étaient fiables, malgré le fait d’avoir envoyé des instructeurs et d’avoir financé la rébellion. L’Occident a finalement lâché les rebelles, considérant qu’il y avait trop de porosité avec les groupes jihadistes."

Karim Hakiki, grand reporter à France 24, avait couvert, il y a sept ans, les premières manifestations en Syrie. Il avait rencontré à l'époque des membres de l'Armée syrienne libre.
"Il ne reste plus personne de cette Armée syrienne libre qui tenait la région d'Idleb à Benich. Il faut se souvenir de cette période. Elle était assez particulière. Il y avait encore de l'espoir de la part du peuple syrien. Ils manifestaient démocratiquement dans les rues tous les jours, tous les soirs. Puis, très vite, cela s'est tendu. Ils ont dû choisir leur camp entre l'armée de Bachar al-Assad ou alors les jihadistes qui arrivaient sur place. Progressivement, ils ont intégré soit les groupes jihadistes, soit ils ont quitté la région.
Les dernières informations que j'ai du groupe avec qui j'étais à l'époque, c'est qu'ils sont tous morts. Ceux qui sont restés sur place vivent une situation humanitaire et sanitaire catastrophique".

Antoine Mariotti, grand reporter à France 24, est le seul journaliste français à avoir pu se rendre à Damas en août 2013. Le régime syrien était alors accusé d'attaques chimiques dans la Ghouta.
"Le ministre syrien de l'Information avait à l'époque démenti sur notre antenne toute implication du régime, même si du côté des services de renseignements occidentaux, on estime qu'il y a très peu de chances que cela puisse être quelqu'un d'autre que le régime. Cela a été le grand tournant de cette guerre. Même si la diplomatie a permis officiellement que le régime se débarasse de toutes ces armes chimiques, on a vu par la suite, selon l'ONU, que cela n'était pas totalement le cas."