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En 2017, Jeanette Vizguerra, mère de famille immigrée aux États-Unis, est devenue un symbole de la lutte des sans-papiers latino-américains contre la loi anti-immigration de Donald Trump. Toujours en sursis, elle poursuit le combat. Portrait.

Une immigrée mexicaine désignée comme l'une des 100 personnalités les plus influentes au monde. Il s'agit de Jeanette Vizguerra, distinguée en avril 2017 par  le magazine Time. À cette époque, cette sans-papiers mexicaine de 46 ans s'était réfugiée dans une église sanctuaire de Denver pour protester contre la procédure d'expulsion qui la visait, elle qui habite et travaille aux États-Unis depuis plus de 20 ans.

Depuis, la mère de famille a obtenu un sursis. La procédure d'expulsion a été suspendue jusqu'en mars 2019. Cependant, pas question de baisser la garde. En ce mercredi 8 mars, journée internationale des droits des femme, Jeannette Vizguerra a quitté le Colorado pour la Floride où, entre deux interviews, elle vient manifester contre les conditions dans lesquelles sont entassés les sans-papiers du centre de détention des services de l’immigration et des douanes (ICE) de Miramar, dans l'agglomération de Miami.

La lucha de #JeanetteVizguerra y la de todos los inmigrantes es nuestra lucha. Gracias Jeanette por enseñarnos a no tener miedo. Fue un honor conocerla. pic.twitter.com/CnvfUIn1Ye

  Silvia (@ssalga1) 8 mars 2018

Jointe par téléphone, elle raconte son parcours, sur un ton assuré, quasi-clinique, comme si cette interview n'était qu'une déposition de plus devant les autorités. Son ton est aussi celui d'une femme qui sait que son cas est loin de constituer une exception. Dans un pays comptant officiellement 325 millions d'habitants, 11 millions de personnes seraient des sans-papiers. "Il y a pas que moi, nous sommes des millions de familles à vivre dans la peur", affirme-t-elle à France 24.

Fuir la violence du Mexique

Jeanette Vizguerra arrive en 1997 à Denver. Elle fuit avec son mari la violence qui gangrène le Mexique. "Mon mari était chauffeur de bus. Par trois fois, il a subi un 'enlèvement express' (détournement du véhicule et braquage des passagers). Lors du dernier, notre fille était dans le bus alors qu'on pointait un pistolet sur sa tempe", raconte la mère de famille. "Un de ses amis a été tué. On a décidé que ça suffisait et de partir ailleurs pour obtenir une vie meilleure."

Elle raconte son arrivée aux États-Unis : un nouveau pays, une nouvelle culture, une nouvelle langue… "C'est forcément difficile au début. Pour la plupart des emplois auxquels on postulait, on nous réclamait des papiers. On a fini par en acheter des faux," explique-t-elle. "Jusqu'ici, je n'avais jamais travaillé de ma vie. Mais, j'ai décroché mon premier poste comme femme de ménage. Puis au bout de sept mois, je suis devenue semi-permanente pour un syndicat défendant le droit des travailleuses."

Parallèlement, le couple construit sa vie de famille. Trois enfants naissent sur le sol américain : Luna, aujourd'hui 13 ans, Roberto, 11 ans, et Zury, 7 ans. L'aînée, née au Mexique est aujourd'hui adulte. Elle a pu bénéficier du DACA, le programme lancé par Obama en 2012 qui a permis à des milliers d'enfants arrivés illégalement sur le territoire américain avec leurs parents d’étudier et de travailler aux États-Unis.

"Les lois anti-immigrants nous compliquent la vie quotidienne. Un exemple simple, si on est victime d'un crime, on ne peut pas aller se plaindre à la police, de peur que la plainte ne se transforme en procédure d'expulsion", détaille-t-elle. "On se demande sans cesse si on ne va pas être expulsé à cause d'une infraction toute bête, au code de la route par exemple…" C'est ce qui se passe en 2009. Lors d'un banal contrôle routier, elle présente une fausse carte de sécurité sociale. La police repère la supercherie, ce qui lui vaut d'apparaître dans les radars des services de l'immigration. Elle reçoit alors un ordre d'expulsion qu'elle conteste.

Un retour au Mexique extrêmement compliqué

Dans ce contexte, difficile de rentrer au Mexique. Faute de statut légal, un retour au pays équivaut bien souvent à un aller simple pour les sans-papiers. Pourtant, en 2012, lorsque la sœur de Jeanette Vizguerra lui apprend que leur mère se meurt d'un cancer, elle n'hésite pas une seule seconde : "Je devais être présente", justifie-t-elle. Elle arrivera juste à temps pour les funérailles.

Pour revenir aux États-Unis, elle est obligée une nouvelle fois de passer la frontière illégalement : "C'était beaucoup plus compliqué qu'avant. Le crime organisé a pris le pouvoir dans les zones frontalières. Les coyotes [réseaux de passeurs, NDLR] leur paient des droits de passage", raconte-t-elle. "Nous sommes passés par le Texas, je me souviens avoir marché sept jours consécutifs dans les montagnes, dans le froid... Le passeur menaçait de me laisser derrière… Je continuais car je voulais revoir mes enfants."

Le groupe de clandestins est finalement arrêté par la Border Patrol, la police des frontières américaines. Jeanette Vizguerra passe de long mois dans un centre de détention à El Paso, au Texas. Petit miracle, on lui annonce finalement qu'elle est autorisée temporairement à rester aux États-Unis alors qu'elle s'attendait à être expulsée d'un instant à l'autre.

Près de trois mois réfugiée dans une Église

De retour chez elle, à Denver, sa situation légale est cependant loin d'être réglée. Donald Trump a promis de faire expulser trois millions de personnes : "Sous Obama, il y avait déjà un nombre important d'expulsions", relativise Jeanette Vizguerra. "Mais avant, on nous laissait la possibilité de nous défendre. Maintenant, les procédures sont plus expéditives."

La maman prend une décision radicale le 15 février 2017. Craignant d'être expulsée, elle refuse de se présenter à l'ultime convocation de l’ICE. Elle confie ses enfants aux bons soins de son mari et d'amis et se réfugie dans l'église First Unitarian Society, où elle vit en recluse pendant plusieurs mois. Ses avocats lui apprennent que son appel a été rejeté.

Si la Mexicaine n'avait pas attendu sa procédure d'expulsion pour militer pour les droits des sans-papiers, son combat va cette fois rapidement gagner une notoriété mondiale. Elle signe une tribune dans le New York Times intitulée "Pourquoi je ne partirai pas !", les médias du monde entier racontent son histoire. Elle devient alors le visage des sans-papiers que menace le nouveau président américain. C'est à cette époque que le Time la nomme parmi les 100 personnalités les plus influentes. Invité au gala du média, elle ne peut cependant s'y rendre. Qu'à cela ne tienne, elle fête sa nomination dans l'église.

Le soulagement intervient le 12 mai 2017 après 86 jours passés dans l'église. Grâce au soutien du sénateur Michael Benett, Jeanette Vizguerra fait partie des 34 immigrés clandestins qui obtiennent un sursis jusqu'en mars 2019. Elle sort juste à temps pour célébrer la fête des mères avec ses enfants.

Jeanette Vizguerra, luego de esconderse en una iglesia ahora camina libremente https://t.co/l05gwLhOxR pic.twitter.com/TeBBOcjcE9

  Viva Noticias (@VivaNoticiasNET) 13 mai 2017

"Il y a eu des bons et des mauvais jours. Le plus difficile, c'est surtout quand mes enfants me manquaient. Ils vivaient chez leur père et ne pouvaient me rendre visite que les week-ends", se rappelle-t-elle. "Mais à côté de ça, j'ai reçu tellement de soutien, non seulement au niveau local mais aussi mondial. Les gens de l'église étaient adorables et m'ont gardé l'esprit occupé, tourné vers l'organisation de ma lutte."

"Trump détruit l'Amérique"

Le processus est en cours pour que la mère de famille obtienne un visa en règle d'ici l'expiration du sursis. Mais, plutôt que de faire profil bas, Jeanette Vizguerra met sa nouvelle notoriété au service de ses combats. "Je crois qu'il ne me sert plus à rien d'avoir peur car je suis déjà dans le système de l'immigration. Mon cas est public depuis un moment maintenant", relativise-t-elle. "Le fait que je sois considérée comme une porte-parole peut inspirer des gens et les inciter à lutter aussi. Nous ne devons plus nous cacher. Nous devons lutter dans la lumière face au système."

Et pour elle, le système en question a un nom et un visage : celui de Donald Trump, qui a notamment été élu sur la promesse de bâtir "un grand et beau mur" à la frontière sud afin d'empêcher "les bad hombres [les voyous]" et les "violeurs" de rejoindre les États-Unis.

Ce pays s'est construit depuis des décennies grâce aux immigrants qui viennent travailler et payer leurs impôts. Lui, il crée des divisions, de la haine. Il ne rend pas sa grandeur à l'Amérique, il la détruit", assène-t-elle.

Elle espère maintenant que les élections de mi-mandat, qui doivent se tenir en novembre 2018 et renouveler un tiers du Sénat et la totalité de la Chambre des représentants, permettront de dégager une majorité capable de bloquer les funestes projets de Trump en matière d'immigration : "Nous ne pouvons pas nous rendre, si nous nous organisons, nous finirons par triompher", déclare-t-elle, optimiste.