
Donald Trump a accepté jeudi de participer à un sommet historique avec le leader nord-coréen Kim Jong-un. L'organisation de cette rencontre est une victoire pour Pyongyang, mais un pari politique risqué pour le président américain.
Donald Trump était impatient, très impatient même, de faire connaître la nouvelle. Jeudi 8 mars, il s’est donc rendu en personne, ce qui est très rare, dans la salle de presse de la Maison Blanche pour prévenir les journalistes de l’allocution imminente du conseiller national sud-coréen à la Sécurité, Chung Eui-yong, dans cette enceinte.
Quelques heures plus tard, à la tombée de la nuit, celui-ci a annoncé la tenue "d'ici fin mai" d'un sommet entre le président américain et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, sur proposition de ce dernier. Une rencontre historique, après deux années de très vives tensions entre Washington et Pyongyang liées aux programmes nucléaire et balistique nord-coréens. Il y a peu encore, le dirigeant américain qualifiait son homologue de "petit homme fusée" et de "petit gros", tandis que ce dernier traitait Donald Trump de "malade mental gâteux".
Donald Trump "prend un gros risque politique"
Alors pourquoi Donald Trump a-t-il accepté l’idée de ce sommet ? "C’est ce que se demandent les diplomates américains", répond Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste des deux Corées, interrogé par France 24. "Depuis la fin de la Guerre froide, les présidents américains en exercice ont toujours refusé", rappelle-t-il. Kim Jong-il, le père, avait invité en vain Bill Clinton à venir assister au premier sommet intercoréen en 2000. Mais l'ancien président n'est allé au Nord qu'une fois parti de la Maison Blanche, pour obtenir la libération de deux journalistes américaines.
"L’organisation d’un tel sommet, que réclame depuis longtemps la Corée du Nord, a toujours été une carotte pour les États-Unis, une promesse faite en cas de négociations fructueuses, et seulement en cas de négociations fructueuses. Mais là, Donald Trump saute les étapes et commence par là. Il considère certainement qu’il va pouvoir faire avancer le dossier, mais il prend un gros risque politique s’il n’obtient pas de résultats à l’issue de cette rencontre", estime Antoine Bondaz. Selon lui, la décision de Donald Trump représente "avant tout une victoire politique pour la Corée du Nord".
Evan Medeiros, un ancien conseiller de Barack Obama collaborant au think tank Eurasia Group, joint par l’AFP, partage cette analyse. La décision soudaine de Donald Trump est "un pari stratégique majeur", d’après lui. Rien n'indique que le Nord, passé maître dans l'art de la manipulation, n'ait la moindre intention de renoncer à ses armes prohibées par la communauté internationale, explique-t-il. Visé par une série de sanctions imposées par le Conseil de sécurité des Nations unies et plusieurs pays, le régime nord-coréen avait jusqu'ici toujours affirmé que le développement de son programme nucléaire n'était simplement pas négociable.
"Un coup de maître" pour Kim Jong-un
Le conseiller national sud-coréen à la Sécurité a pourtant indiqué jeudi soir que Kim Jong-un s'était engagé à œuvrer à la "dénucléarisation" de la péninsule coréenne et avait promis de s'abstenir "de tout nouveau test nucléaire ou de missile" pendant d'éventuelles négociations. "Les Nord-Coréens vont beaucoup parler de dénucléarisation sans avoir aucune intention de renoncer à leurs arsenaux nucléaires", prédit déjà un autre spécialiste, Andrei Lankov, membre du Korea Risk Group. D’autant plus que la doctrine officielle du régime présente l'arsenal nucléaire comme une garantie face aux menaces d'invasion américaine.
"C’est un coup de maître pour le leader suprême qui est isolé depuis l’année dernière sur la scène internationale. En seulement deux mois, pendant la trêve olympique, il a réussi à reprendre l’initiative. C’est une victoire importante pour le régime nord-coréen puisque quoi qu’il advienne, il apparaîtra sur une photo au côté de l’homme le plus puissant du monde", affirme pour sa part le correspondant de France 24 en Corée du Sud, Sébastien Falletti.
Et selon lui, "derrière ce coup de théâtre, il y a un homme-clé, le président sud-coréen Moon Jae-in", qui est "la cheville ouvrière de ce rapprochement". Pour preuve, ce sont des émissaires du Sud qui ont révélé que Pyongyang était prêt à discuter de son arsenal nucléaire, ou encore que Donald Trump acceptait l'invitation du Nord à un sommet. Ancien avocat, Moon Jae-in a été élu en mai en prônant ouvertement un dialogue avec le Nord. Il avait beaucoup misé sur les Jeux olympiques de Pyeongchang, rebaptisés jeux "de la Paix". Pari gagnant puisque le leader nord-coréen avait envoyé une importante délégation de hauts responsables, dont sa sœur. Et mercredi, les deux pays ont annoncé la tenue d'un sommet commun à la fin du mois d'avril après la rencontre entre Kim Jong-un et une délégation sud-coréenne. Un échange là aussi "historique", selon Antoine Bondaz.