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Ross, Navarro, Lighthizer : les trois mousquetaires du protectionnisme américain

La décision de Donald Trump, prise jeudi, d’instaurer des taxes douanières de 25 % sur l’acier et 10 % sur l’aluminium d'ici 15 jours doit beaucoup à Wilbur Ross, Peter Navarro et Robert Lighthizer, champions du protectionnisme à la Maison Blanche.

La décision de Donald Trump, définitivement entérinée le 8 mars, d’imposer une taxe de 25   % sur les importations d’acier et de 10   % sur celles d’aluminium, semble n’avoir entraîné que de mauvaises nouvelles pour le locataire de la Maison Blanche : la démission de son conseiller économique Gary Cohn , l’indignation des partenaires commerciaux du pays , une fronde au sein du parti républicain et l'inquiétude des marchés financiers. Ces mesures, qui doivent entrer en vigueur dans quinze jours, pourront être cependant renégociées, précise la Maison Blanche, pays par pays, pour envisager une éventuelle levée de ces nouveaux droits de douane.

Une décision qui marque la victoire d’un petit groupe de proches du président : l e secrétaire au Commerce Wilbur Ross, le conseiller au commerce Peter Navarro et le représentant au Commerce Robert Lighthizer. Depuis une semaine, ceux-ci se relaient sur les chaînes de télévision américaines pour défendre les vertus supposées des tarifs douaniers : protéger l’industrie américaine de l’acier et permettre aux États-Unis de redresser leur balance commerciale. Peu connus du grand public, ces hérauts du protectionnisme risquent d’avoir une influence grandissante sur la politique commerciale des États-Unis, et leur place au niveau international.

Après les populistes, comme l’ex-conseiller stratégique de Donald Trump Steve Bannon, après le clan familial, incarné par Ivanka Trump et son mari Jared Kushner, c’est la faction des protectionnistes , dont Peter Navarro, Wilbur Ross et Robert Lighthizer sont les principaux représentants, qui a gagné les faveurs de Donald Trump.

“Ils militent depuis des mois pour que le président instaure les tarifs douaniers qu’il avait promis pendant la campagne mais ils s’étaient jusqu’à présent heurtés à la résistance du conseiller économique Gary Cohn et de Jared Kushner”, résume le New York Times le 7 mars. Mais la bonne étoile des défenseurs du libéralisme économique a pâli. Le beau-fils du président a perdu la plupart de ses accès à la Maison Blanche, tandis que Gary Cohn n’avait plus la confiance du président depuis que le conseiller s’est permis de critiquer la condamnation plus que molle de Donald Trump des suprématistes blancs après les violences racistes à Charlottesvilles en août 2017.

Le triumvirat protectionniste

Wilbur Ross est le représentant le plus visible des protectionnistes au sein de l’administration Trump. Sa défense à la télévision des tarifs douaniers avec une canette de coca dans une main et une de bière Budweiser dans l’autre, pour souligner le prétendu faible impact de la hausse des prix de l’aluminium, a fait le tour d’Internet.

Milliardaire et homme d’affaire, Wilbur Ross avait été surnommé e n 2004 par le magazine The Economist, “Mr Protectionnist”. Il a gagné ses galons de défenseur de l’emploi made in America contre les exportateurs chinois ou japonais e n rachetant au début des années 2000 des entreprises en faillite dans le secteur de l’acier et du textile, en les restructurant puis en allant plaider à Washington pour l’instauration de barrières tarifaires pour protéger ces acquisitions. En 2004, il avait même fondé une association d’industriels pour une meilleure protection de l’économie nationale.

Peter Navarro , lui, semble être le grand gagnant de la montée en puissance du clan des protectionnistes. Avec le départ de son adversaire Gary Cohn, il est devenu le conseiller le plus influent sur les questions économiques , et il devrait même obtenir une promotion dans les jours à venir, d’après le Wall Street Journal.

Il revient pourtant de loin. Ce professeur d’économie a intégré l’équipe de conseillers de Trump grâce à un coup de chance : Jared Kushner avait lu son livre - “Death by China” ("La mort par la Chine") - et avait convaincu son beau-père de le faire venir dans la foulée en tant que spécialiste de la Chine. Mais ses prises de position extrêmes en matière de protectionnisme en avaient fait la cible de prédilection de Gary Cohn et autres partisans du libre-échange.

Il faut dire que Peter Navarro est obsédé par la Chine, qu’il juge être la principale source des problèmes économiques américains. Il estime aussi que la plupart des grands groupes américains sont complices des Chinois, en essayant de faire des affaires avec eux. Seule solution, selon lui : taxer autant que possible les produits faits en Chine , même lorsqu’il s’agit de voitures importées du Mexique, dont certaines pièces détachées ont le malheur d’avoir été fabriquées dans des usines chinoises.

Enfin Robert Lighthizer , représentant au Commerce, est un vieux briscard de la politique qui plaidait déjà pour le protectionnisme économique en 1983, lorsqu’il travaillait pour Ronald Reagan en tant que vice-représentant au Commerce.

Et depuis 35 ans, cet avocat d’affaires septuagénaire n’a pas mis une goutte d’eau dans son vin protectionniste. Il considère que les taxes douanières devraient être instaurées plus souvent par les États-Unis et juge que les grands traités commerciaux sont des erreurs. Robert Lighthizer est ainsi le principal détracteur de l’Aléna, (l’Accord de libre-échange canado-américain).

Cette fine équipe n’est pas protectionniste uniquement par conviction économique. Pour Ross, Navarro et Lighthizer, le discours protectionniste est aussi une arme politique pour toucher les classes populaires sans trop s’égarer dans une rhétorique d ’extrême droite, à la manière d’un Steve Bannon.

Ce n’est pas un hasard si certains des États les plus favorables à l’instauration de barrières douanières se situent sur la Rust Belt, le cœur industriel historique des États-Unis qui s’étend au nord du pays de la région des Grands Lacs (Chicago) à la côte atlantique au-dessus de New York. Ces régions, pourtant votant plutôt à gauche, pourrait s’avérer cruciales en novembre 2018, lors des élections législatives de mi-mandat. Donald Trump a peut-être jugé que le moment était venu d’essayer de draguer cet électorat… quitte à devoir gérer une guerre commerciale avec la Chine et l’Union européenne en échange.