Un éloge du Premier ministre malaisien, Najib Razak, sur les bienfaits du quinoa s'est transformé en un thème de campagne des législatives du mois de mai. Ses opposants y voient un signe de richesse, déconnecté de l'ordinaire des Malaisiens.
Quinoa ou riz, choisis ton camp camarade ! La campagne pour les 14e élections législatives malaisiennes, qui, selon la Constitution, doivent avoir lieu d'ici août 2018, est lancée. Et le premier thème à s'imposer est on ne peut plus original : les bienfaits du quinoa, vantés par l'actuel Premier ministre, Najib Razak, candidat à sa propre succession. Les opposants objectent, eux, le coût prohibitif de cette céréale pour le Malaisien lambda. Plus qu'une question triviale, c'est un débat sur la corruption des élites et leur déconnexion du coût de la vie en Malaisie qui s'est ouvert.
Un aliment plus cher que le riz
La polémique, qui remonte au 22 février, a débuté lors d'une réunion de budget d'un des programmes sociaux de l'État. Dans l'interview télévisée qui s'en est suivi, Najib Razak, qui représente le parti Umno (Organisation nationale unifiée malaise), a répondu à la question posée par un internaute l'interrogeant sur la manière dont le Premier ministre se maintenait en forme.
"Je ne peux pas faire du sport aussi souvent que je le voudrais. Et j'aime manger. C'est mon problème, j'aime manger comme la plupart des Malaisiens", a répondu le chef d'État. "Donc je dois contrôler ce que je mange. Par exemple, je ne mange plus de riz mais du quinoa. C'est riche en protéines, donc il y a moins de glucides et de sucres. C'est aussi meilleur que le riz."
Meilleur mais plus cher. Selon la base de données Numbeo, le kilo de riz vaut environ 0,80 € dans le pays. Les 250 grammes de quinoa sont quant à eux vendus 3,06 € par la chaîne d'hypermarché Tesco en Malaisie.
L’opposition mangeuse de "riz local"
L’aveu de Najib Razak est du pain béni pour ses opposants, qui le tenaient déjà pour responsable de l'augmentation du coût de la vie en Malaisie depuis l'instauration d'une TVA en 2015.
Ceux-ci ont été prompts à dénoncer la déconnexion totale du Premier ministre du niveau de vie de ses concitoyens.
L'ancien Premier ministre Mahathir Mohamad, candidat du Malaysian United Indigenous Party, a dégainé le premier et fait part de sa préférence pour le riz, l'aliment de base de près de 30 millions de Malaisiens.
"Je ne mange que du riz local", a-t-il déclaré sur Twitter.
Saya makan Nasi beras temapatan sahaja ✌???? pic.twitter.com/QtyrGwVF0y
Dr Mahathir Mohamad (@chedetofficial) 23 février 2018Lim Kit Siang, le leader du Democratic Action Party (DAP), le principal parti d'opposition, a ajouté son grain de sel. Il a rappelé que le quinoa coûtait aujourd'hui 23 fois plus cher que le riz en Malaisie, fustigeant une nourriture que seules les 2 % des personnes les plus riches du pays peuvent s'offrir.
"Je dois avouer qu'avant que Najib en parle, je n'avais jamais entendu parler du quinoa. Je ne savais même pas que ça existait", a-t-il déclaré lors du'une conférence de presse, relate le journal local The Malaysian Insight. "Cela me fait penser à l'histoire de Marie-Antoinette. La dernière reine de France avant la Révolution de 1789. Elle aurait dit 'de manger de la brioche' à des paysans qui n'avaient plus de pain."
"Ces 14e élections générales seront celles du quinoa contre le riz. Un gouvernement intègre contre la cleptocracie. Najib contre le peuple malaisien", résume-t-il lapidaire.
Du côté du cabinet de Najib Razak, on dénonce une instrumentalisation de ses propos émanant de "certaines franges" de l'opposition. Dans un communiqué publié vendredi 23 février, son équipe rappelle que le régime de quinoa a été recommandé par le nutritionniste du Premier ministre.
Une affaire à même de faire basculer l'élection ?
Najib Razak est d'autant plus dans une position délicate qu'il est également lié à un scandale financier. Le fonds d'investissement Malaysia Development Berhad (1MDB), qu'il a créé en 20009 pour servir de fonds de placement à la Malaisie, est accusé de "détournement de fonds" par la justice américaine depuis 2016. Selon le Département de justice des États-Unis, la valeur totale en fonds détournés atteindrait jusqu'à 3,5 milliards de dollars. Mais, le Premier ministre, tout comme les dirigeants du fonds, nient toutes malversations.
Si la justice internationale s'intéresse à lui, Najib Razak a cependant bien verrouillé le système électoral local. Le site spécialisé Asyalist pointe ainsi plusieurs irrégularités : premièrement, le redécoupage des circonscriptions électorales de 2013 semble favoriser particulièrement l'Umno. Deuxièmement, la presse est étroitement contrôlée et aux ordres de l'Umno. Le Malaysian Insider, qui avait couvert le scandale 1MDB, s'est ainsi vu bloquer après sa couverture défavorable au Premier ministre en 2016. Enfin, le gouvernement s'appuie sur une lecture large du "sedition act" de 1848 qui condamne quiconque "incite à la déloyauté envers les sultans ou le gouvernement", "suscite le mécontentement parmi les sujets" ou "soulève des questions sensibles" pour traîner en justice les opposants les plus virulents.
Si on ajoute à cela le soutien massif de zones rurales et la division des partis d'opposition, Najib Razak a encore de beaux jours devant lui. L'opposition, quant à elle, devra se contenter des miettes électorales… et de riz.