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Coupes budgétaires : l'action humanitaire française dans le monde menacée
En France, près de 190 ONG alertent sur la coupe historique de 700 millions d'euros dans le budget de l'aide au développement annoncée par François Bayrou. Cette réduction s'ajoute à d'autres baisses depuis 2024. L'action humanitaire française va renoncer à nouveau à certains programmes, dans un contexte mondial de crise et de multiplication des conflits armés.
Des membres de l'ONG Action Contre la Faim mesure le tour de bras des nourrissons pour détecter d'éventuels cas de malnutrition, dans le sud de Madagascar, le 14 décembre 2018. © AFP, Rijasolo

Elles n'en finissent plus de voir leurs financements se réduire. Près de 190 ONG tirent la sonnette d'alarme après l'annonce d'une coupe historique de 700 millions d'euros dans le budget de l'aide au développement, faite par le Premier ministre François Bayrou le 15 juillet. Une somme qui représente environ 5 % de l'enveloppe allouée à l'aide publique au développement.

Cette mesure s'inscrit dans le plan d'économies de 43,8 milliards d'euros prévu pour 2026 afin de réduire le déficit public de la France.

"C'est du jamais vu", commente Corentin Martiniault, responsable de plaidoyer chez Coordination Sud, qui rassemble 188 ONG françaises menant des actions humanitaires d'urgence, comme Médecins du Monde, Handicap international ou encore Solidarités international.

"Les orientations budgétaires présentées par le gouvernement pourraient mettre en danger des populations pauvres et vulnérables dans le monde", dénonce Coordination Sud.

L'aide au développement permettait jusqu'ici "de financer de l'accès à des services essentiels, donc à la santé, à l'eau, à l'alimentation, mais aussi de protéger des populations qui sont dans des situations de vulnérabilité et de fragilité extrême", ajoute Corentin Martiniault.

Un budget en décalage avec les discours officiels favorables à l'aide

En 2024, la France occupait encore une position majeure dans le système de solidarité internationale, se classant au cinquième rang mondial des bailleurs d'aide publique au développement, derrière les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon, selon l'OCDE.

Si cette coupe est confirmée, le budget de l'aide publique au développement "reviendrait dix ans en arrière", explique le responsable de plaidoyer de Coordination Sud. Le financement français de l'aide au développement est en baisse continue depuis plusieurs années.

Avec l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron en 2017, Paris avait fait de la solidarité internationale une priorité politique, augmentant significativement les aides et renforçant son engagement humanitaire, explique Corentin Martiniault. Mais en 2024, "la France fait partie des premiers pays à décider de d'opérer un revirement majeur en réduisant son budget dédié à l'aide publique au développement", déplore-t-il.

"On ne conteste pas le contexte budgétaire qui est difficile, mais on constate que le budget de l'aide publique au développement se retrouve chaque fois en première, en deuxième ou en troisième position des budgets les plus durement impactés", ajoute-t-il.

Après une première coupe de 724 millions d'euros en février 2024, plus de 2 milliards d'euros de réductions budgétaires ont été entérinées dans la loi de finances au détriment de l'aide au développement. Puis, le 25 avril, un nouveau décret du ministère de l'Économie a annulé près de 200 millions d'euros de crédits supplémentaires.

Corentin Martiniault souligne le décalage entre les discours officiels favorables à l'aide publique au développement, notamment celui de François Bayrou lors de son discours de politique générale ou du président de la République, et les coupes budgétaires annoncées.

De nouvelles coupes alors que la situation est déjà critique

La France n'est pas le seul pays européen à réduire ses financements : l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, la Belgique et le Royaume-Uni ont aussi diminué les aides.

L'annonce de ces baisses intervient dans un contexte déjà tendu, après la suspension décidée début 2025 de l'USAID, l'Agence des Etats-Unis pour le développement international.

"Ajouter de nouvelles coupes à une situation déjà dramatique, marquée par le retrait de nombreux bailleurs, la fragilisation des agences onusiennes et des structures capables d'intervenir au plus près des populations vulnérables en matière de santé et de nutrition, c'est catastrophique", regrette Flore Ganon, responsable plaidoyer droits et services essentiels chez Action contre la faim, l'une des organisations membre de Coordination Sud, fragilisée par les coupes successives.

Pour cette ONG, les restrictions françaises se sont manifestées en 2024 avec une baisse de 20 % des financements sur son programme Projet Confluences, qui vise notamment à abaisser la prévalence de la sous-nutrition aiguë des enfants de moins de cinq ans à Madagascar, en Côte d'Ivoire, au Tchad, au Cameroun, en Mauritanie et au Burkina Faso. "Nous allons nous retrouver dans des pays où notre capacité d'intervention sera réduite."

Et ce d'autant que l'ONG dépendait pour partie des financements de l'USAID, brutalement suspendus par Donald Trump. "Les coupes américaines nous ont contraints à fermer des centres nutritionnels quasiment du jour au lendemain", explique Flore Ganon.

Une situation d'autant plus préoccupante que les chiffres de la faim sont repartis à la hause depuis 2017 pour atteindre le chiffre de 733 millions de personnes en 2023, soit l'équivalent de deux fois la population de l'Union européenne, d'après le dernier rapport de l'ONU sur l'état de la sécurité alimentaire dans le monde.

"Une forme de régression démocratique"

"De notre point de vue, la baisse annoncée pour le budget 2026 est une erreur tactique, pas seulement morale. En matière de lutte contre les inégalités et contre les grandes endémies et pandémies, un jour, on va le payer", redoute Jean-François Coty, président de Médecins du Monde.

Au-delà de ses conséquences sanitaires et sociales, il alerte aussi sur l'impact démocratique de cette décision. "Couper dans la solidarité internationale, c'est faire disparaître de nombreuses ONG. C'est une forme de régression démocratique", estime-t-il.

Médecins du Monde dispose d'environ 50 % de fonds propres dans son budget, issus de collectes de dons citoyens et de bailleurs privés, ce qui la préserve face aux coupes budgétaires. "Aujourd'hui, certains programmes seront maintenus grâce à nos réserves et nous tiendrons nos engagements. Mais rien ne garantit que nous pourrons les renouveler ou les étendre", explique le président de l'organisation. "Nous avons de la trésorerie d'avance, mais il est difficile de prévoir l'avenir."

Une réorganisation sera sans doute nécessaire. "Dans les années à venir, la baisse globale des financements institutionnels va nous impacter. Il est probable que nous connaissions une stagnation, voire une légère baisse de notre activité. On ne compense pas, en quelques mois ou quelques années, la perte de financements institutionnels majeurs. Il faudra qu'on se réorganise pour pouvoir compenser, via notamment des financements privés", prévient l'ONG.

"Un rôle clé dans la prévention des conflits"

Alors qu'Emmanuel Macron a annoncé une hausse de 3,5 milliards d'euros en 2026 et de 3 milliards en 2027 pour le budget des armées dans un contexte de crise internationale avec la guerre en Ukraine, les coupes dans l'aide au développement interrogent. Corentin Martiniault rappelle que cette aide joue "un rôle clé dans la prévention des conflits en luttant contre leurs causes profondes, comme l'accès à l'éducation, à l'eau ou la réponse au changement climatique".

Pour les ONG de Coordination Sud, d'autres sources de financement sont possibles. Jusqu'en 2024, les recettes issues de la taxe sur les transactions financières et de la taxe sur les billets d'avion étaient affectées à l'aide publique au développement. Mais le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 les a subitement intégrées au budget général de l'État. Une proposition de loi, déposée par le député macroniste Guillaume Gouffier Valente et soutenue par 70 parlementaires, vise à rétablir ce lien en réaffectant ces deux taxes au financement de la solidarité internationale.