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Russie : Navalny accuse un proche de Poutine, Instagram et YouTube subissent des pressions

En Russie, Instagram a accepté de bloquer des messages liés à des accusations de corruption lancées par l'opposant russe Alexis Navalny. A contrario, YouTube a conservé une vidéo des dénonciations de l’activiste. Au risque de se voir bannir.

Sexe, vidéo et collusion : Facebook et Alphabet (la maison mère de Google) se sont retrouvés embourbés, à leurs pixels défendant, dans le dédale de la politique russe et d’un combat pour la liberté d’expression. Leur réaction, très différente, démontre la difficulté pour les géants américains de la Tech de naviguer dans les eaux troubles des rapports entre le Kremlin et Internet.

À la demande des autorités russes, Instagram, le réseau social de Facebook, a bloqué l’accès, jeudi 15 février, à certains messages repris par Alexeï Navalny, l’opposant star à Vladimir Poutine, pour dénoncer des faits supposés de corruption. YouTube, la plateforme vidéo d’Alphabet, qui est de son côté concerné par une injonction concernant une vidéo de l’opposant et militant anti-corruption russe, ne s'est pas encore exécuté. Le site pourrait devenir inaccessible en Russie.

La vidéo (en Russe) à l'origine du scandale

Yacht et escorte

Deux multinationales, deux mesures, pour une seule affaire impliquant des proches du pouvoir, un yacht et des femmes en bikinis. Alexeï Navalny a posté, le 8 février, une vidéo montrant le vice-Premier ministre Sergei Prikhodko en train de discuter avec le milliardaire et industriel russe Oleg Deripaska, accompagnés d’une mannequin présentée comme une escorte proche de l’homme d’affaires russe. Ces images, qui remontent à 2016, prouveraient une collusion suspecte entre les deux hommes, a affirmé l’opposant russe sur YouTube. Il s’est aussi appuyé sur des photos de l’excursion postées sur le compte Instagram de la jeune femme.

La vidéo a déjà été vue plus de cinq millions de fois. Elle a d'autant plus attiré l’attention que les deux hommes discutent des relations russo-américaines et qu’Oleg Deripaska est réputé avoir été proche, à l’époque, de Paul Manafort, l’ex-chef de campagne de Donald Trump durant l’élection présidentielle.

Une séquence potentiellement explosive pour le pouvoir russe, qui a rapidement réagi. Le vice-Premier ministre a qualifié Alexeï Navalny de “loser politique” qui fabriquerait des accusations à partir de rien, tandis qu’Oleg Deripaska a demandé que la vidéo et les images soient supprimées de YouTube et Instagram. Le gendarme russe des télécommunications lui a donné raison, et a enjoint les deux plateformes à faire le ménage.

“Complice de censure”

Alexeï Navalny a déploré la décision d’Instagram qui s’est, d’après lui, plié “à une demande illégale de censure”. Contacté par le Washington Post, le réseau social a expliqué qu’il “examinait avec attention ce genre de requêtes [des États] à la lumière des lois locales” et pouvait, le cas échéant, rendre des contenus inaccessibles.

Alexeï Navalny devient une problème épineux pour les plateformes internet américaines. La campagne inlassable de l’activiste pour dénoncer la corruption dans les plus hautes sphères du pouvoir a déjà placé ces sites en porte-à-faux. En 2014, l e Kremlin avait demandé à Twitter, Facebook et YouTube de bloquer l’accès à des messages appelant à une grande manifestation à Moscou contre Vladimir Poutine. Les trois sites avaient alors refusé de se plier à l’injonction russe.

Les réseaux sociaux américains sont devenus l’un des derniers refuges où Alexeï Navalny peut s’exprimer. Accusé de corruption par le pouvoir, il a été privé du droit de se présenter contre Vladimir Poutine lors de l’élection présidentielle du 18 mars 2018. L’accès à son blog a été coupé, jeudi 15 février, par les fournisseurs russes d’accès à Internet et plusieurs sites russes ont supprimé des articles et messages rédigés par ce militant anti-Poutine.

D’où l’importance de la décision de Facebook et Alphabet : continuer à faire des affaires sans entrave en Russie, au risque de passer pour complice de la censure d’État, ou laisser Alexeï Navalny s’exprimer, au risque de susciter l’ire du maître du Kremlin.