, envoyée spéciale à Harare (Zimbabwe) – En dépit des batailles politiciennes entre les partisans du Premier ministre Morgan Tsvangirai et ceux du président Robert Mugabe, la vie quotidienne des habitants de la capitale s'améliore depuis que les deux camps gouvernent ensemble.
"L’an dernier, nous brûlions en enfer. Aujourd’hui, le feu est éteint." L’année écoulée se résume ainsi pour Trevor Saruwaka, député du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), dont le chef de file Morgan Tsvangirai est Premier ministre depuis février.
Dans la capitale, Harare, où les supermarchés ont refait le plein de produits, l’ambiance est à l’optimisme. En dépit des luttes politiciennes au sommet de l’État entre les fidèles de l’inamovible président Robert Mugabe et l’ancienne opposition du MDC, entrée au gouvernement en février, les fonctionnaires ont repris le chemin du bureau et les usines tournent à nouveau.
Mais "la vie reste très difficile dans les zones rurales", nuance Trevor Saruwaka, qui rappelle que Harare ne représente pas l’ensemble du pays et invite à ne pas tomber dans le jugement de façade.
Les prix redeviennent praticables
Le dollar zimbabwéen n’existe plus depuis février. Son abolition fut l’une des premières mesures du gouvernement d'union nationale. Avant la nomination au ministère des Finances de Tendai Biti (MDC), le gouverneur de la Banque centrale zimbabwéenne, Gideon Gono, usait et abusaient de la planche à billet, propulsant l’inflation à des niveaux-records.
Ainsi, le prix d'un ticket de bus pouvait doubler entre le matin et le soir d’une même journée. De même, la faiblesse de la devise rendait impossible la moindre importation de biens. Les étals étaient vides et le marché noir prospérait.
À présent, on trouve des victuailles dans les épiceries et les prix sont redevenus praticables, au moins pour les classes moyennes.
Pénurie de pièces de monnaie
Shuah Makuyana vend des bananes dans les rues de Harare. Il faut débourser un dollar américain pour lui en acheter dix. Mais pour le client qui n’en voudrait que cinq, les choses se compliquent. "Nous n’avons pas de petite monnaie en dollars, explique le commerçant. On utilise certaines pièces sud-africaines, mais les gens trouvent le plus souvent d’autres combines, comme acheter en gros et partager avec ses voisins. Chacun paie l’achat groupé à tour de rôle."
Au mois d’août, Tendai Biti a réussi à augmenter les fonctionnaires. En février, le ministre avait déjà donné un premier coup de fouet à l’économie en versant 100 dollars à chaque salarié de l’État. Il se félicite à présent de l’évolution des choses : "J’ai réussi à mettre en place une échelle des salaires. Fin août, un proviseur, un député ou un ministre touchera 200 dollars, moins les impôts, et un professeur gagnera 165 dollars brut. Quant au Premier ministre et au président, ils seront payés 300 dollars brut."
Pour le député Saruwaka, l’utilisation de devises étrangères, comme le dollar américain et du rand sud-africain, est en partie à l’origine des progrès dans les échanges économiques. Mais ce partisan du Premier ministre Tsvangirai mesure également les dysfonctionnements liés au manque de liquidités : "Les habitants des zones rurales dépendent de l’argent envoyé par les membres de leur famille qui sont fonctionnaires en ville. Mais les salaires restent bas, et le manque de pièces de monnaie pose un vrai problème. Si quelqu’un va voir le meunier, celui-ci va lui demander 50 cents pour lui moudre son grain. Mais personne n’a de pièces de 50 cents. Le client va donc proposer d’échanger le service du meunier contre une poule dont il brade la valeur, puisque son prix dépasse normalement les trois dollars. Malgré ces problèmes, vous ne croiserez aucun Zimbabwéen qui réclame le retour à notre ancienne monnaie."
Le sentiment que les choses vont mieux fait effectivement son chemin à travers le pays. Mais l’économie souffre encore de l’absence des entreprises occidentales, qui boudent toujours le Zimbabwe. Les diplomates des pays investisseurs continuent de s’inquiéter de l’instabilité politique et déconseillent aux multinationales de revenir exploiter les ressources agricoles et minières.
Files d’attente devant les banques
Suite à l’introduction du dollar américain, les petits épargnants refont la queue devant les banques depuis quelques semaines. Devant un établissement de Harare, Edmore Chirume, un charpentier, attend depuis plus de cinq heures." Je voulais retirer de l’argent mais j’ai l’impression qu’ils n’ont rien à nous donner", déplore-t-il.
Selon les journaux locaux, ceux qui se sont enrichis au marché noir aggravent cette pénurie de liquidités. Ils ont en effet été les premiers à échanger leurs dollars zimbabwéens contre des liasses de dollars américains et ont trouvé un nouveau moyen de s’enrichir : la spéculation.
Lorsque la devise américaine a été introduite au Zimbabwe, un dollar s’échangeait contre 10 rands sud-africains. Depuis, le dollar s’est renforcé. Mais quand il ne vaut plus que huit rands au marché noir dans la deuxième ville du pays, Bulawayo, son cours s'est maintenu aux alentours de dix rands dans la capitale, pour le plus grand bonheur des possesseurs de grosses liasses de billets, initiateurs du système,
qui n’ont plus qu’à se déplacer de ville en ville pour faire fructifier leur pécule.
Système D
Reste le système D pour ceux qui ne peuvent pas se permettre de telles activités. Ainsi, dans certains quartiers de Harare, des fruits et légumes ont pris la place des fleurs dans les jardins des copropriétés.
Au salon du livre de Harare, des pelotes de ficelle sont exposées à côté des ouvrages du stand de Simon Sisimayi : "Il faut voir les choses en face, personne n’a les moyens de s’acheter des livres, explique le bouquiniste, alors que tout le monde a besoin de ficelle. Je vends les six pelotes à 24 dollars, ça vous intéresse ?"