
Hugh Jackman incarne P.T. Barnum dans le film "The Greatest Showman", au cinéma le 24 janvier. L’occasion de revenir en images sur la carrière controversée de l’un des premiers créateurs de "freak shows" aux États-Unis dans les années 1840.
Ethel la femme à barbe, Bette et Dorothy Tattler les sœurs siamoises à deux têtes ou Jimmy l’enfant aux mains de homard : à l’automne 2014, les personnages de la saison 4 d'"American Horror Story" avaient captivé les téléspectateurs du monde entier. Si bien sûr la série produite par Ryan Murphy était une fiction, elle évoque une part bien réelle de l’histoire américaine : les freak shows, ou "expositions de curiosités de la nature", ont bel et bien existé du milieu du XIXe au milieu du XXe siècle.
Le film "The Greatest Showman" de Michael Gravey – bien que totalement romancé et dilué à la sauce "Moulin Rouge" avec une bande-originale déjà populaire – raconte l’histoire de Phineas Taylor Barnum, entrepreneur d’une industrie du divertissement d’un autre temps qui a rendu les freak shows, puis le cirque, populaires.
Le hoax de Joice Heth, nourrice de George Washington âgée de 161 ans
En 1835, P.T. Barnum découvre l’existence d’une femme noire nommée Joice Heth dont la légende veut qu’elle soit l’ancienne nourrice de George Washington âgée de 161 ans. Oui vous avez bien lu, 161 ans. "Même si l’esclavage était interdit à New York à cette époque, un vide juridique lui permet de louer [Joice Heth] pour 1 000 dollars l’année", raconte le magazine Smithsonian. Le jeune homme de 25 ans part alors en tournée avec la vieille dame et suscite la curiosité des Américains. À tel point que lorsque Joice Heth meurt en février 1936, il organise une autopsie en direct devant 1 500 spectateurs dans un salon de New York – autopsie qui révèlera d’ailleurs que la vieille dame n’était âgée "que" de 81 ans.
Ce hoax sera loin d’être le dernier dans la carrière de P.T. Barnum. En 1841, convaincu du potentiel du filon des "curiosités", il acquiert l’American Museum de New York, un bâtiment haut de cinq étages à Broadway qui expose des animaux empaillés et des statues de cire. L’homme y ajoute des animaux et des humains bien vivants aux histoires plus ou moins réalistes.
Parmi les "curiosités" qui feront la popularité du Barnum’s American Museum, il y eut notamment :
- Feejee Mermaid, le squelette d’une sirène des Fidji, en fait une tête de singe cousue sur la queue d’un gros poisson.
Charles S. Stratton, un enfant de 4 ans atteint de nanisme et haut de 64 cm, cousin éloigné du showman. Mais il lui invente la vie d’un militaire anglais de 22 ans qu'il nomme "général Tom Pouce". Véritable star du musée, le jeune Charles a fait vendre 20 millions d’entrées. Même le président américain Abraham Lincoln et la reine d’Angleterre Victoria auraient applaudi ce "spectacle".
Annie Jones, une "femme à barbe" atteinte d’hirsutisme qui démarra sa carrière très jeune dans la troupe de P.T. Barnum. Annie Jones aurait plus tard profité de sa notoriété pour que le mot freak ("bête curieuse") ne soit plus utilisé.
Fedor Jeftichew, surnommé "Jojo l’enfant à tête de chien", souffrant d’hypertrichose et découvert en Russie par P.T. Barnum qui le pousse à aboyer pendant les spectacles.
Chang et Eng Bunker, des jumeaux reliés par le sternum originaires du Siam, qui seraient à l'origine de l'expression "frères siamois". Pour attiser l'attention du public en tournée, P.T. Barnum se plaisait à interroger les médecins des villes par lesquelles la troupe passait sur la faisabilité médicaled'une opération pour séparer les deux frères.
Captain George Costentenus, un artiste de cirque confirmé. L'homme né en Grèce s'était fait tatouer de la tête aux pieds et se plaisait à raconter qu'il avait été encré contre sa volonté lors de son kidnapping par des Tatares en Chine. Captain Costentenus fut aussi "exposé" aux Folies Bergères à Paris en juin 1889.
"Beaucoup avaient toujours considéré le théâtre comme le lieu de tous les pêchés"
Si le succès populaire est au rendez-vous, les spectacles du Barnum’s American Museum suscitent aussi les critiques de la presse et de la bourgeoisie new-yorkaises. P.T. Barnum s’attire les foudres de toute une partie de la population. "Beaucoup avaient toujours considéré le théâtre comme le lieu de tous les pêchés, et les curiosités et les performances jouées au Barnum’s Museum ont alimenté leur indignation", décrit le site HistoryVsHollywood.
Pour redorer son image et légitimer son rôle de dénicheur de talents, P.T. Barnum décide de convaincre une certaine Jenny Lind, star de l’opéra en Europe que la presse surnomme "le rossignol suédois", de venir faire une tournée en Amérique. Lors de ses premiers concerts en 1850, le succès est immédiat et apporte plus d’un demi-million de dollars de profits au showman.
En 1865 puis en 1868, le Barnum’s American Museum brûle dans deux incendies successifs avec une partie de ses pièces et de ses animaux. P.T. Barnum fait le choix de ne pas le reconstruire, mais préfère investir dans un nouveau projet : le "P.T. Barnum's Grand Traveling Museum, Menagerie, Caravan, and Circus", un cirque itinérant qui gardera le nom de Barnum jusqu’en mai 2017 lorsqu’il cesse son activité.
"Il a participé à faire du racisme quelque chose de fun"
Pour Benjamin Reiss, professeur d’anglais à l’université d’Emory et auteur du livre "Le showman et l’esclave", interrogé par le magazine Smithsonian, le constat sur l’héritage de P.T. Barnum est à double tranchant : "Il a participé à faire du racisme quelque chose de fun et a donné aux gens qui travaillaient dans des activités dégradantes à l’égard des personnes de couleur un côté intimiste, drôle, étonnant et novateur. Cela fait partie de son héritage, ça fait partie de ce qu’il nous a laissé, tout comme il nous a aussi laissé de bonnes vannes, des bons numéros de cirque et cette réputation d’oncle de l’Amérique charmant et blagueur."
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