À un an de la date butoir du référendum d’auto‐détermination, le Premier ministre français est en visite en Nouvelle-Calédonie. Objectif : lancer les chantiers toujours en suspens pour organiser la consultation.
"Les enjeux pour la Nouvelle-Calédonie sont considérables", a déclaré samedi 2 décembre le Premier ministre Édouard Philippe, lors de sa première déclaration à la presse à Nouméa, à moins d'un an du référendum sur l'indépendance de l'archipel au statut d'autonomie particulier. Les Calédoniens doivent se prononcer d'ici à novembre 2018 sur l'accession de leur archipel à la pleine souveraineté, au terme d'un long processus, entamé en 1988 avec les accords de Matignon, puis prolongé par l'accord de Nouméa (1998).
Avec cette visite de quatre jours, Matignon entend marquer le coup d’envoi de la campagne. Conscient que la route est encore longue pour mettre en place cette consultation, Édouard Philippe, à pied d’œuvre sur ce dossier, va tenter de désamorcer tous les sujets de blocage, à commencer par la constitution des listes référendaires.
- Le corps électoral
Qui pourra voter lors de ce référendum ? Cette question fait l’objet d’un vif débat sur l’île depuis de nombreuses années en raison de la coexistence de deux listes électorales. Or, celle qui sera utilisée pour le référendum exige, pour s’inscrire, une présence continue dans l'archipel depuis au moins 1994 alors que celle pour les élections provinciales nécessite d'être résident dans l'archipel depuis 1998.
Résultat : de nombreux insulaires sont exclus de la liste. Le taux de non-inscrits en Nouvelle-Calédonie est de 5 %, inférieur à celui de l'hexagone (7 % à 8 %).
Après de longues discussions entre le Comité des signataires de l'accord de Nouméa et Édouard Philippe à Matignon le 2 novembre, un accord politique a vu le jour afin d’élargir les conditions d’inscription. "Tout sera mis en œuvre pour identifier chaque personne qui ne s'est pas inscrite sur les listes électorales et qui a vocation à l'être, grâce à la poursuite du travail de fiabilisation des fichiers informatiques utilisés pour les inscriptions d'office", a assuré samedi Édouard Philippe dans un entretien aux Nouvelles Calédoniennes.
Pour que cette liste soit la plus complète possible, une campagne de sensibilisation à travers l'archipel est menée pour convaincre les jeunes d'aller s'inscrire sur les listes électorales. "Des ambassadeurs", parmi lesquels de nombreux jeunes, ont été désignés samedi lors d’une cérémonie à laquelle a notamment participé le Premier ministre aux côtés du judoka Teddy Riner afin de mobiliser le maximum de citoyens.
- La sécurité du scrutin
Le Premier ministre, qui espère que le référendum "se déroule[ra] calmement", craint des débordements aux abords de certains bureaux de vote. Matignon envisage donc la possibilité de déployer des observateurs de l'ONU le jour du scrutin. "Le risque majeur, c'est que les indépendantistes contestent le résultat. Or, de plus en plus de Kanaks sont pour rester dans la République. Si bien que le référendum peut déboucher sur une large victoire des loyalistes. Matignon ne veut pas que l'un des deux camps soit humilié par le résultat. Il faut qu'après le référendum, il puisse y avoir un lendemain", explique un élu néo-calédonien au Figaro. Surtout que le processus prévoit deux autres référendums dans les années à venir pour confirmer, ou infirmer, les résultats du premier.
- La Nouvelle-Calédonie est-elle prête à être indépendante ?
Selon une enquête de l'Institut I-Scope pour Caledonia, rendu public en mai dernier, plus de 54 % des personnes inscrites sur les listes électorales se prononceraient contre. Mais le taux d'indécis reste encore très élevé (21,4 %). Quoi qu’il en soit, de nombreux indépendantistes et loyalistes s’interrogent sur le flou qui règne concernant l’avenir institutionnel de cette collectivité française qui dispose déjà d’un gouvernement, d’un congrès et d’un sénat (l’État français est uniquement représenté par le Haut Commissaire de la République, dont le rôle s’apparente à celui de préfet).
"Nombreux sont ceux qui regrettent que les années écoulées n'aient pas davantage été mises à profit pour débattre, évaluer les enjeux, informer les habitants", estimait le député PS et rapporteur de la mission parlementaire René Dosnière, dans un rapport datant de mars 2017.
En juillet, l'ancien ministre Jean-Jacques Urvoas a publié une note juridique sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, dans laquelle il préconise deux options compatibles avec la Constitution française et avec la réalité économique, démographique et insulaire de l’archipel : "l’état-associé" et "l’état –fédéré".
Dans le premier cas, la Nouvelle-Calédonie pourrait décider de déléguer certaines compétences à la France : défense, sécurité publique, monnaie, justice. Dans l’autre cas, la Nouvelle-Calédonie resterait constitutionnellement dans le giron de l’État français, mais disposerait d’une constitution propre. Le partage des compétences serait là encore à négocier entre la Nouvelle-Calédonie et la France, avec une suprématie pour cette dernière en cas de litige.
Le Premier ministre Édouard Philippe a incité les élus du "Caillou" à engager "des discussions intenses" pour préparer l’après et préserver "la paix" dans cet archipel aux équilibres fragiles.
- La date et la question du référendum
Si le vote est prévu pour novembre 2018, personne ne sait encore quel jour précisément il aura lieu, ni quelle sera exactement la question. Le Congrès (de Nouvelle-Calédonie) a jusqu’au mois de mai pour se décider sur une majorité des 3/5. Pour cela, l’ensemble des acteurs politiques calédoniens doit d’abord avancer sur l’ensemble des dossiers évoqués.
Le temps presse, a rappellé cet été Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la Mission d'information permanente sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. "Si rien n’est décidé d’ici à mars 2018, l’État prendra la main et assumera son rôle et ses engagements en prenant l’initiative d’une question qui est quasiment contenue dans le texte constitutionnel avec une réponse qui sera binaire, et on aura ce que tout le monde ne veut pas : à savoir un référendum couperet", a-t-il prévenu.
Matignon peut espérer des avancées sur le dossier depuis que le gouvernement calédonien a mis un terme, vendredi, à trois mois de blocage politique. Après plusieurs jours de négociations, indépendantistes et non indépendantistes ont réussi à s'entendre pour élire un chef de l'exécutif, le président sortant Philippe Germain (Calédonie ensemble, droite modérée). Dans une déclaration commune lue solennellement devant la presse, les élus ont exprimé leur "volonté partagée d'ouvrir un dialogue approfondi entre les formations indépendantistes et non indépendantistes afin de préparer l'échéance du référendum et son lendemain".