
Quatre chefs des milices et des clans de Gaza. En haut à gauche : Ashraf al-Mansi (Arme populaire- Forces du nord). En bas à gauche : Yasser Abou Shabab (Forces populaires). En haut à droite : Hossam al-Astal (Force d'intervention contre le terrorisme). En bas à droite : Yasser Khanidak, chef du clan Khanidak. © Observers
Huit hommes à genoux, les vêtements déchirés et les yeux bandés : une vidéo partagée sur les réseaux sociaux le 13 octobre montre comment le sort que réserve le Hamas à ses ennemis : des membres du groupe islamiste, armés de fusils AK-47, ouvrent soudainement le feu, les abattant les huit hommes à genoux, au milieu des cris de célébration ou d’insutles (“traîtres”) lancés par la foule environnante.

C’est une des dernières scènes témoignant des tensions entre le Hamas et ses rivaux, exacerbées depuis l’instauration du cessez-le-feu avec Israël. L'exécution publique a eu lieu dans la rue Omar al-Mukhtar, dans le quartier de Sabra dans la ville de Gaza, une démonstration de force délibérée dans une zone où l'emprise du Hamas reste contestée par d'autres clans armés, en particulier la famille Doghmush. L'identité de toutes les victimes n'est pas connue selon des sources locales, certaines appartenaient au clan Doghmush et au moins l'une d'entre elles était un membre haut placé du groupe affilié à Israël et connu sous le nom de “Forces populaires”.
L'exécution a eu lieu après trois jours d'intenses échanges de tirs entre les combattants du Hamas et le clan Doghmush à Sabra, bastion du clan, qui, selon diverses sources, ont fait entre 19 et 52 morts parmi les Doghmush et entre 8 et 12 morts parmi les membres du Hamas. Parmi les personnes tuées figurait l’influenceur Salah al-Jafarawi pris pour cible pendant les combats.
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Accepter Gérer mes choixCe n’est pas la première exécution publique menée par le Hamas ces dernières semaines. Le 22 septembre, avant le cessez-le-feu, le groupe avait exécuté trois hommes devant l'hôpital al Shifa. Ces hommes étaient accusés de collaboration avec Israël, une accusation que le Hamas porte régulièrement contre ses rivaux et ses opposants.
Malgré les démentis officiels et les assurances répétées après le cessez-le-feu selon lesquelles “le Hamas ne permettrait pas un vide sécuritaire à Gaza”, le groupe a en fait perdu le contrôle de certaines parties du territoire au cours des deux dernières années, comme l’a concédé un haut responsable du groupe islamsite à la BBC en juillet 2025.
“Avec ces exécutions, le Hamas veut montrer qu'il a toujours son importance”
Plusieurs experts voient ces exécutions publiques comme un moyen pour le Hamas de signaler que les affaires continuent sous son règne. Hamza Howidy, expert des affaires palestiniennes et militant des droits de l'homme, explique :
Avec ces exécutions, le Hamas veut montrer qu'il a toujours son importance et qu'il détient toujours le pouvoir. Juste avant ces exécutions, le Hamas a été attaqué par les familles Doghmush et al-Majida, qui ont tué plusieurs de ses membres. Donc le Hamas veut intimider les gens et les familles afin qu'ils ne se révoltent pas contre lui.
Au moins sept factions et clans contestent désormais l'autorité du Hamas, chacun contrôlant une petite partie de la bande de Gaza et essayant de faire avancer ou de repousser le mouvement. Alors que le Hamas qualifie tous ces groupes de “traîtres” collaborant avec Israël, plusieurs n'ont pas de lien avéré avec l’Etat hébreu selon les analystes sollicités par la rédaction des Observateurs de France 24. Khalil Sayegh, analyste politique né à Gaza, explique :
Nous avons des groupes qui coopèrent avec Israël et des groupes qui n'ont aucun lien avec Israël. Par exemple, les clans Hellis ou Doghmush n'ont aucun lien avec les Israéliens, ni même nécessairement avec des activités criminelles. Ces clans sont simplement des familles gazaouies influentes.
Le clan Doghmush : l’ennemi historique
L'un des clans les plus importants et les plus puissants de la bande de Gaza, c’est la famille Doghmush, depuis longtemps bien armée et influente. Son chef de facto : Nizar Doghmush. Le groupe est en conflit avec le Hamas depuis la création du mouvement dans les années 1980. Le Hamas a tenté à plusieurs reprises de le désarmer, conduisant à plusieurs affrontements armés entre les deux parties au fil des ans.
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Accepter Gérer mes choixAu cours des premiers jours de l'offensive israélienne sur Gaza en 2023, le Hamas a d’ailleurs exécuté Mokhtar Doghmush, alors chef de la branche nord du clan.
Après le cessez-le-feu, le Hamas a déployé environ 300 combattants dans des bâtiments de Sabra, où des membres du clan étaient déjà positionnés. C’est là qu’ont commencé les affrontements. Le Hamas a affirmé que des combattants Doghmush affiliés à Israël avaient auparavant tué deux de ses membres. Les échanges de tirs qui ont suivi, et qui ont duré plus de deux jours, ont fait entre 19 et 52 morts parmi les membres de Doghmush et entre 8 et 12 morts parmi les combattants du Hamas, selon diverses sources.
Début octobre, Nizar Doghmush, actuel chef du clan, déclarait au Los Angeles Times que des responsables israéliens lui avaient fait une proposition : « Les Israéliens voulaient que nous prenions en charge une zone humanitaire dans la ville de Gaza, que nous recrutions autant de membres de notre famille que possible, et ils nous fourniraient un soutien logistique, comme des armes, de la nourriture et des abris », une demande qu'il dit avoir refusée.
Les portes-parole du Hamas ont qualifié le clan Doghmush de “bande de hors-la-loi” et l'ont également accusé de “haute trahison” en marge des récents affrontements.
Khalil Sayegh explique :
Le Hamas a commis un massacre contre la famille Doghmush. Des mortiers et des roquettes ont été utilisés pour frapper les familles et ont tué des femmes et des enfants. Depuis le cessez-le-feu, le Hamas n’a pas attaqué ceux qui collaborent avec Israël autant qu'il a attaqué les Doghmush ou d'autres qui n’ont pas collaboré. Le Hamas semble voir en eux une menace plus grande. Il voulait montrer à tous sa force et semer la terreur, pour faire comprendre à tout le monde qu'il faut se soumettre. Même ceux qui n'ont pas collaboré avec Israël et qui possèdent encore des armes, le Hamas ne tolérera pas qu'ils détiennent le moindre pouvoir.
Des groupes proches d’Israël, sinon à sa main
A l’inverse des Doghmush, au moins cinq des groupes sont clairement liés, voire ont été directement créés par Israël.
Tous les chefs de ces groupes miliciens ont un passé criminel. Yasser Abou Shabab [chef du groupe milicien Forces populaires], par exemple, est un ancien trafiquant de drogue analphabète ; Achraf al-Mansi [chef du groupe milicien Forces populaires du nord] en est un autre.
De nombreux membres de ces groupes se trouvent dans la même situation. Certains faisaient partie de l’EI [à Gaza, NDLR], d'autres étaient autrefois membres du Hamas et avaient des liens avec l'Iran, et beaucoup étaient de simples criminels. Certains étaient même en prison lorsque la guerre a éclaté, mais ils ont été libérés après que les bombardements israéliens ont détruit les prisons.
Ce sont des groupes artisanaux israéliens. D'où proviennent leurs armes ? C'est la première question. La deuxième question est : qui paie leurs salaires mensuels ? Alors que tout le monde à Gaza souffrait de la faim et de la famine pendant la guerre, les seules zones où l'on trouvait de la nourriture étaient celles contrôlées par eux. D'où provenait cette nourriture ? La réponse à ces questions est Israël.
Plusieurs médias israéliens ont aussi traité de cette politique mise en place par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, lequel a, à plusieurs reprises, reconnu la stratégie consistant à “activer” certains groupes à Gaza et l'a défendue en déclarant : “Qu'y a-t-il de mal à cela ? C'est une bonne chose, qui permet de sauver la vie des soldats de l'armée israélienne.”
Pour Gershon Baskin, négociateur israélien sollicité par la chaîne d'information CBS Israël “a donné du pouvoir, avec des armes et de l'argent, à des gangs de Palestiniens impliqués dans des activités pour la plupart illégales dans le passé, comme le trafic de drogue et la contrebande”. Selon lui, ces groupes ont été habilités à agir comme une alternative au Hamas, une stratégie qu’il a cependant qualifié de “non viable”.
Autre critique du côté du député isréalien d’opposition et ex-ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman, qui a accusé Benyamin Netanyahou en octobre 2025 d'avoir fourni des armes à des milices armées ayant des antécédents criminels et des liens avec l’organisation Etat islamique. Une accusation que le cabinet du Premier ministre n'a pas démentie. “Israël prend diverses mesures pour vaincre le Hamas, sur la base des recommandations de tous les chefs des agences de sécurité”, avait répondu le cabinet.

“Si Israël cesse de les financer ou de leur fournir un soutien logistique, ces groupes disparaîtront rapidement”
Malgré les démonstrations de force du Hamas, qui déploie des combattants dans toute la bande de Gaza et procède à des exécutions publiques, plusieurs chefs de clans et de milices soutenus par Israël affirment que le mouvement est au bord de l'effondrement. Hossam al-Astal, chef de la Force d'intervention antiterroriste, a ainsi déclaré au média israélien Ynet : “Dans la pratique, [le Hamas] n'a plus de force significative”, ajoutant que “ce n'est qu'une question de temps avant que nous ne renversions définitivement les combattants du Hamas”.
Un avis que nuance Hamza Howidy :
Si un jour Israël cesse de les financer ou de leur fournir un soutien logistique, ces groupes disparaîtront rapidement. Ils peuvent seulement importuner le Hamas, tuer certains de ses membres, mais ils ne sont pas capables de constituer une véritable menace. Plusieurs clans ont déjà conclu une sorte d'accord avec le Hamas. Le clan Majida, par exemple, a déjà rendu ses armes car il s'est rendu compte que le Hamas était bien plus puissant. Les milices pro-israéliennes ne peuvent pas les aider, elles se trouvent au-delà de la ligne jaune, ce qui signifie qu'elles ne peuvent pas entrer à Gaza pour le moment.
La ligne jaune établie par l’accord de cesez-le-feu délimite la zone dans laquelle l’armée israélienne s’est repliée à Gaza.
Khalil Sayegh partage un point de vue similaire :
En général, les clans ne sont pas intéressés par le fait de diriger Gaza. Ils se demandent plutôt comment diriger leur propre clan et le quartier où il vit. Mais ce sont leurs relations historiques avec l'Autorité palestinienne qui rendent le Hamas nerveux. Si l'Autorité palestinienne revient un jour à Gaza, ce sont les clans, en particulier les plus influents comme les familles Hellis et Doghmush, qui l'aideraient à rétablir son contrôle.
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Accepter Gérer mes choixLes Forces populaires, ennemi juré du Hamas
Également connu sous le nom de Service antiterroriste, ce groupe est dirigé par Yasser Abou Shabab, 32 ans, considéré comme le chef de milice anti-Hamas le plus en vue. Avant le 7 octobre 2023, il était emprisonné par le Hamas pour trafic de drogue. Il commanderait aujourd'hui environ 400 hommes armés.
Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux en juin 2024, Yasser Abou Shabab affirmait avoir formé cette milice pour protéger les civils contre “la terreur du gouvernement de facto du Hamas”.
Le groupe contrôle l'est de Rafah, certaines parties de l'est de Khan Younès et la route d'approvisionnement stratégique vers Gaza, comme le passage de Kerem Shalom. Yasser Abou Shabab nie officiellement toute coopération “directe” avec Israël, mais plusieurs vidéos démontrent des liens entre la milice et l’Etat hébreu. Le bastion des Forces populaires se trouve dans la zone contrôlée par l'armée israélienne à l'est de Rafah.
En juin 2025, le Times of Israel citait des sources du ministère de la Défense selon lesquelles Israël avait fourni des fusils d'assaut Kalachnikov aux membres de la faction.
Le Hamas accuse Yasser Abou Shabab non seulement d'être un “agent israélien”, mais aussi de piller les convois d'aide humanitaire entrant dans la bande de Gaza, une allégation que le bureau local des Nations unies a également confirmée.
En 2024, le frère de Yasser Abou Shabab a été tué par le Hamas. Le groupe islamiste a tenté au moins à deux reprises d’assassiner également le leader des Forces populaires ces deux dernières années. Il aurait été sauvé au moins une fois par une intervention de l’armée israélienne, selon la chaine i24.
La Force d'intervention contre le terrorisme : “Nous travaillons avec les Israéliens”
Ce groupe, fondé en 2024, est dirigé par Hossam al-Astal, 50 ans. La Force d'intervention contre le terrorisme contrôle le village de Kizan an-Najjar dans la région de Khan Younès.
Hossam Al-Astal est un ancien officier des forces de sécurité de l'Autorité palestinienne. Il a été accusé par le Hamas et l'Autorité palestinienne d'avoir collaboré avec Israël dans les années 1990.
Détenu à plusieurs reprises par le Hamas et condamné à mort pour son implication présumée dans l'assassinat en 2018 en Malaisie de Fadi al-Batsh, un agent du Hamas, un meurtre dont est soupçonné Israël.

Le 12 octobre, le chef de la milice a été explicite auprès de Ynet le 12 octobre 2025. “Nous entretenons des liens étroits avec plusieurs pays occidentaux, avec les États-Unis et même avec Israël. Nous voulons qu'ils soutiennent les habitants qui refusent le régime du Hamas, qu'ils les désarment et qu'ils mettent fin à la peur que suscite cette organisation” avait-il déclaré.
Les membres de sa milice ont également parlé publiquement de la logistique, de l'eau et de l'électricité fournies par Israël à leur base. “Il existe une coordination entre nous et Israël, et parfois l'armée israélienne est ici, se déplaçant” ajoutait Hossam Al-Astal auprès du Times of Israel en septembre 2025.
Deux membres du Hamas ont été tués, lors d'un affrontement en septembre entre les combattants d'Al-Astal et le Hamas. En représailles, le Hamas a lancé une offensive majeure contre les bastions de la milice le 3 octobre à Khan Younès.
Selon le Times of Israel, l'armée israélienne est intervenue pour la première fois en faveur d'un groupe palestinien contre le Hamas lors de cette confrontation. L'armée israélienne a déclaré que 20 combattants du Hamas avaient été tués dans une frappe de drone, tandis que des sources locales ont fait état de la mort de cinq hommes de Force d'intervention contre le terrorisme.
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Accepter Gérer mes choixL’Armée populaire - Forces du nord : un nouvel ennemi dans le nord de Gaza
Ce groupe n'est apparu que récemment. Les premiers signes de sa formation sont révélés dans des vidéos partagées sur les réseaux sociaux en septembre 2025, quelques semaines seulement avant le cessez-le-feu. A sa tête, un homme du nom d’Achraf al-Mansi. Le groupe opère dans le nord de la bande de Gaza et revendique le contrôle de Jabaliya et Beit Hanoun.
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Accepter Gérer mes choixAvant le cessez-le-feu, le groupe était actif sur les réseaux sociaux. Il menaçait le Hamas, le qualifiant d'organisation terroriste. Son activité en ligne semble cependant avoir cessé. Selon des sources locales, Achraf al-Mansi suit le même modèle opérationnel que la milice de Yasser Abou Shabab, mais le groupe est bien moins fourni : il ne compterait qu’une vingtaine de combattants. Sa coopération avec Israël et le groupe a été documentée dans plusieurs vidéos.
Les clans Hellis, Khanidak, Jundeya et Abu Werda
Ces quatre clans défient également ouvertement le Hamas. Certains membres du clan Hellis (ou Khalas) et du clan Jundeya, dirigés par Rami Hellis et Ahmad Jundeya, ont formé une milice commune, sous le nom de Forces de défense populaires de Shujaiya, zone de Gaza ville où il opère et toujours sous contrôle de l'armée israélienne après le cessez-le-feu. Selon Ynet, ces groupes bénéficient d'un soutien logistique de la part d'Israël et sont rémunérés par l'Autorité palestinienne.
Toujours selon Ynet, le clan Khanidak serait aussi soutenu par l'armée israélienne. Dirigé par Yasser Khanidak, il est actif à Khan Younès, bastion du Hamas.
Le clan Abu Werda est lui basé près du port de Gaza, mais sa direction reste floue. Les affrontements entre ce clan et le Hamas le 10 octobre ont fait trois morts parmi les combattants du Hamas et deux parmi les membres du clan Abu Werda.
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Accepter Gérer mes choix“Le Hamas contrôle le discours”
Hamza Howidy explique :
Chacun de ces groupes peut commettre des actes de violence à petite échelle, et tant qu'aucun groupe ne détiendra le pouvoir dominant, la guerre civile menace. C'est pourquoi nous appelons la communauté internationale, l'Autorité palestinienne et toute personne en mesure de le faire à mettre fin à cette guerre civile avant qu'elle ne commence.
Khalil Sayegh met lui en garde contre un autre danger :
La principale menace pour l'avenir est que le Hamas commette des massacres contre différents clans et populations, en prétendant qu'ils sont des collaborateurs israéliens. Ce n'est pas une guerre civile, c'est une répression autoritaire. Le pouvoir le plus important dont dispose actuellement le Hamas est la terreur. Le deuxième est son monopole sur le discours. Prenons l'exemple de ces exécutions publiques. En décrivant tous les autres comme des gangs ou des collaborateurs d’Israël, ce qui est faux, le Hamas contrôle le discours. C'est le pouvoir qu'il détient : la capacité de façonner l'histoire et, ce faisant, d'empêcher toute alternative d'émerger à Gaza.
