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"Ma chère fille salafiste", récit d'une mère sur la radicalisation de son enfant de 12 ans

Dans "Ma chère fille salafiste", Lau Nova, une mère de famille, raconte ses années de lutte pour ne pas perdre son enfant endoctrinée à 12 ans. Une expérience sur laquelle elle s'appuie aujourd'hui pour sensibiliser les jeunes sur la radicalisation.

De l’aveu même de Lau Nova, l’auteure de "Ma chère fille salafiste", "écrire ce livre a été salvateur car il [lui] a permis de retracer le fil de ces dernières années en prenant la bonne distance". Cette prise de recul n’enlève toutefois rien à la force du témoignage de cette mère de famille qui raconte l’embrigadement de Charlotte, sa fille de 12 ans, dans la communauté salafiste. Aujourd’hui âgée de 18 ans, celle qui se fait désormais appeler Amina vit avec son mari polygame dans une communauté salafiste piétiste près de Londres. "C’est une radicalisation non violente encore trop méconnue dans notre société", précise à France24 Lau Nova, installée dans la banlieue lyonnaise.

Cet ouvrage poignant, paru en septembre, commence comme une banale histoire de famille. Une enfance dans un milieu aisé, des parents athées, Charlotte, "excellente élève" aime l’école, la lecture, le dessin, le basket et écouter Dionysos. Rien ne prédisposait cette jeune fille, "l’aînée d’une joyeuse fratrie", à basculer dans l’intégrisme religieux. Mais en 2011, une série d’évènements viendra amorcer le virage : une peine de cœur avec son premier amour Karim, de confession musulmane, des fréquentations peu recommandables et la dépression sévère d’un père au chômage qui ne cesse de la réprimander.

Spirale de l’islam intégriste

À ce moment-là, la collégienne, qui souhaite regagner le cœur de Karim, se lie d’amitié avec sa sœur, Nora, chez qui elle se réfugie régulièrement pour profiter d’une ambiance "où il fait bon vivre". Dans ce contexte, Charlotte s’intéresse à l’islam, commence à fréquenter une mosquée tandis que le Coran a rejoint ses livres de classe. La mère observe la quête identitaire de sa fille sans toutefois s’inquiéter de ce que cette dernière présente comme "une révélation". Elle ne se doute pas que durant six années, sa fille va être endoctrinée par l'idéologie d'un islam intégriste.

De cette expérience, Lau Nova retient plusieurs signaux d’alerte : le décrochage scolaire, en premier lieu. "Quand l’institution perd tout crédit auprès de l’élève au profit de l’idéologie [salafiste], c’est difficile de lutter", commente Lau Nova qui a "tout fait pour que [s]a fille ne lâche pas l’école". "C’était indispensable, pour moi, de la maintenir dans la société", ajoute-t-elle.

Dix kilos de jilbab dans l’armoire

Deuxième coup de massue : découvrir dix kilos de jilbabs, le vêtement qui couvre la femme de la tête aux pieds, cachés dans l’armoire de son enfant. "Le thermomètre émotionnel est alors au plus haut" dans la vie d’un parent, écrit-elle. Pendant ces années, mère et fille n’ont cessé de négocier pour trouver un terrain d’entente sur cette tenue vestimentaire qui venait s’immiscer dans la vie de famille.

Mais un jour, le lycée contacte la mère pour l’informer des projets de Charlotte, prête à rejoindre l’Égypte pour y suivre une éducation religieuse rigoriste. Elle réagit en appellant le numéro vert Stop Djihadisme et entame la procédure d’OST (opposition de sortie du territoire). Elle cache le passeport de Charlotte qui, à 15 ans, est désormais fichée S (sûreté de l’État).

En contactant le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam, cette mère démunie sort enfin de l’isolement. "À ce moment-là, on me donne deux ans pour la sortir de là", se souvient Lau Nova, qui s’initiera au Coran, rencontrera avec sa fille de jeunes endoctrinés par l'organisation de l'État islamique, pas si différents au fond d’autres adolescents. Ensemble, elles partagent quelques moments de complicité. Mais dans les faits, il est déjà trop tard. "Plus elle s’adoucissait à l’extérieur, plus elle s’endurcissait à l’intérieur", écrit Lau.

La pensée salafiste sur le devant de la scène

Elle en tire une troisième leçon : "Ma fille n’a connu que l’islam radical, reconnaît-elle. Elle a été happée par la pensée salafiste qui occupe le devant de la scène sur les réseaux sociaux", souligne-t-elle. Cinq jours avant Noël 2016, celle qui se fait appeler Amina dit à sa mère qu’elle va dormir chez une amie. Le lendemain, elle lui demande de lire une lettre déposée dans sa chambre. "Si tu la lis, c’est que je suis déjà en Angleterre", lui dit-elle. Elle a choisi de vivre sa vie de "salafiyya" à Londres avec son mari, un Français installé outre-Manche et marié avec deux femmes.

Depuis, Lau Nora s’est rendu au Royaume-Uni pour voir sa fille qui réside "dans un quartier où les habitants sont en majorité des radicaux". Elle n’a pas pu entrer chez elle. "Je l’ai retrouvée dans un fast-food, dans une salle réservée aux familles, tandis que son mari était à côté, décrit-elle. Dans ce mini-Raqqa, où la mixité est interdite dans les lieux publics, la mère a partagé une heure avec sa fille, qui porte désormais le sitar (voile qui en plus du niqab recouvre les yeux d’un voile très fin) et qui laisse entrevoir "un état physique et moral fragile", selon sa mère.

Par la suite, les quelques échanges sur WhatsApp sonnent creux. "En septembre, son mari a de nouveau imposé un cran de distance supplémentaire en limitant nos échanges à des courriers". Ce livre-thérapie devrait distendre les relations encore davantage, reconnaît-elle.

Sensibiliser les jeunes

Aujourd’hui, le combat de Lau Nova est pour les autres. Ce récit a pour but de tendre la main à ces familles qui ont vécu une histoire similaire, estime celle qui entend sensibiliser les jeunes sur la déradicalisation. "Il est indispensable d’agir dès le collège pour éviter les décrochages qui s’opèrent en général vers 12 ans", assure-t-elle.

Elle entend d’ailleurs interpeller le gouvernement sur cette question, alors qu'Emmanuel Macron s’est engagé à intervenir sur le terrain pour lutter contre la radicalisation des jeunes début 2018. Elle a déjà eu l’occasion de rencontrer des enseignants "aussi démunis que moi à l’époque", mais aussi des jeunes avec qui elle a échangé dans une banlieue sensible de Liège, en Belgique. Des ado estomaqués de voir les dérives de la religion. "C’est pas ça notre islam", lui ont-ils rétorqué.