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Le peuplement de l'Amérique ne s'est sans doute pas fait par le détroit de Béring

Pour un groupe d'éminents spécialistes du peuplement de l'Amérique, les premiers colons sont arrivés des milliers d'années avant ce que nous pensions et pas par le détroit de Béring. Mais alors, où, comment et quand ?

Comment les premiers indigènes d’Amérique du Nord sont-ils arrivés sur le continent ? Pour la plupart d’entre nous, la question fait peu de doute : l’école nous a appris l’histoire de la Béringie, nom du pont terrestre qui reliait jadis l’Alaska à la Sibérie, là où le détroit de Bering se situe aujourd’hui. Depuis les années 1930, il est ainsi admis que les premiers peuplements seraient arrivés en Amérique du Nord par ce biais à la fin de la dernière glaciation, vers 13 000 avant J.-C.

Et si c’était faux ? Et si les premiers colons de l’Amérique avaient emprunté d’autres routes, utilisé différents moyens de transport, bien avant cette période, pour rejoindre l’immensité froide du Grand Nord américain ? Depuis les années 1980, la question fait largement débat dans les sphères scientifiques. Vendredi 3 novembre, un groupe d’anthropologues et d’archéologues américains renommés a publié, dans la revue universitaire américaine Science, une sorte de tribune en faveur d’une autre histoire du peuplement de l’Amérique.

"Dans un revirement intellectuel dramatique, la plupart des archéologues et universitaires pensent désormais que les premiers Américains ont suivi le pourtour de l’océan Pacifique de l’Asie du Nord à la Béringie jusqu’aux Amériques", écrivent-ils. Ils défendent l’hypothèse dite du "kelp highway", littéralement "autoroute de varech", du nom d’un mélange d’algues laissé par le retrait des marées, soutenant ainsi une arrivée par voie côtière sur la côte ouest Américaine il y a au moins 17 000 ans, à la faveur de la dislocation de certains glaciers.

Le modèle de Clovis et son effrondrement

Reprenons le fil de l’Histoire. En 1929, un adolescent américain nommé Ridgley Whiteman découvre par hasard les restes d’un mammouth près de la ville de Clovis (Nouveau-Mexique) Trois ans plus tard, les scientifiques ont analysé l’ensemble du site et découvert que la bête avait été achevée à coups de lances armées de pointes en pierre taillée par la main de l'homme. C’est le début de la culture Clovis, la fameuse théorie du détroit de Béring.

Mais, durant les quatre dernières décennies, de nombreux scientifiques ont timidement commencé à la remettre en cause. Les auteurs de la tribune dans Science considèrent "que la théorie de Clovis s’est écroulée" au début des années 2000, lorsqu’on a découvert des traces humaines dans la région de Monte Verde (Chili), datant d’au moins 14 500 ans. C'est d'ailleurs Tom D. Dillehay, l'un des auteurs du papier de Science, qui est à l'origine de cette découverte.

De nombreux autres sites ont, depuis, donné du grain à moudre aux contestataires. En 2017, deux découvertes ont particulièrement marqué les esprits : celle de vestiges osseux découverts dans le Yukon faisant état d’une présence humaine vieille de 24 000 ans, et celle d’un village indigène, sur une petite île au large des côtes de la Colombie-Britannique, vieux de plus de 14 000 ans. C’était la première fois qu’un site archéologique aussi ancien était découvert sur la côte ouest-américaine.

Les voies côtières

Alors, à quel saint se vouer ? Todd J. Braje, Tom. D Dillehay, Jon Erlandson, Richard G. Klein et Torben C. Rick, les cinq auteurs de la tribune dans Science, sont partisans de la théorie du "kelp highway", l'idée d'une arrivée par voie côtière, que nous abordions précédemment.

"L’incertitude laissée par l’effondrement du paradigme de la culture Clovis a ouvert la boîte de Pandore de scénarios alternatifs"

Selon eux, les premiers Américains ont suivi les rives de l’océan Pacifique pour descendre de l’Asie du Nord vers l’Amérique, le long de la côte. Cette théorie est soutenue par l’idée qu’il y a 17 000 ans, la côte nord-ouest de l’Amérique a subi une déglaciation partielle, créant ainsi "une dispersion éventuelle d’un corridor riche en ressources aquatiques et terrestres le long de la côte du Pacifique, avec une forêt de varech et un écosystème estuarien au niveau de l'océan permettant de supprimer les barrières géographiques".

La question qui se pose alors semble évidente : comment ont-ils fait pour traverser une telle étendue ? La voie maritime semble privilégiée, mais nous n’avons encore aucune preuve d’une telle activité à cette époque. "Des évidences archéologiques d’une activité maritime ancienne se sont multipliées dans plusieurs régions géographiques le long de la côte Pacifique de l’Amérique du nord, comme le corps de l’Arlington Spring Man (vieux d’environ 13 000 ans), retrouvé sur l’île de Santa Rosa", écrivent les chercheurs. "Mais aucun site côtier pré-Clovis en Amérique du Nord n’a été définitivement reconnu ou documenté."

"L’incertitude laissée par l’effondrement du paradigme de la culture Clovis a, cependant, ouvert la boîte de Pandore de scénarios alternatifs sur le peuplement des Amériques", soulignent-ils encore, s’inscrivant en désaccord avec certaines théories, comme celle affirmant qu’un hominidé vivait sur le continent dès 130 000 ans avant J.-C. Pour eux, la colonisation de l’Amérique s’est faite "entre 25 000 et 15 000 ans avant notre ère, probablement dans la deuxième moitié de cette période".

Toutefois, "les réponses aux questions de savoir comment, quand, et où les premiers humains ont atteint l'Amérique restent élusives", affirment-ils. Ils sont en effet confrontés à un problème de taille : une grande partie de cette voie côtière est désormais submergée par les eaux et donc difficile à étudier.

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