Il y a 100 ans, le 23 octobre 1917, mon arrière-grand-oncle Théophile succombait à la tuberculose contractée au front. Inscrit sur le monument aux morts de son village, il a fallu un siècle pour qu'il soit considéré comme "Mort pour la France".
Au début du centenaire de la Première Guerre mondiale, je me suis fixé une mission : retracer le parcours des poilus de ma famille et tout particulièrement celui de ceux tombés lors de ce conflit. En 2015, je suis allée sur les traces de l’un de mes arrière-grands-oncles, Joseph Trouillard, tué au cours de l’offensive de l’Artois, le 25 septembre 1915. L’an dernier, ces recherches m’ont menée jusqu’en Macédoine, où un second arrière-grand-oncle, Joseph Gondet, a perdu la vie, le 13 novembre 1916. L'année 2017 est, elle aussi, marquée par le centenaire de la disparition d’un troisième arrière-grand-oncle, Théophile Réminiac, mort le 23 octobre 1917. Contrairement aux autres de mes aïeux, il n’a pas été fauché sur le champ de bataille, mais il a rendu son dernier souffle dans son lit.
Pas "Mort pour la France"
J’ai découvert l’existence de Théophile en étudiant le monument aux morts de Caro, le village de ma grand-mère maternelle, dans le Morbihan. Au fil des décennies, son souvenir s’est effacé dans la mémoire de notre famille. Personne n’avait entendu parler de lui. Mais j’ai voulu en savoir davantage sur les raisons de son décès. J’ai consulté le site Mémoire des Hommes, qui regroupe les fiches de 1,4 million de soldats français morts pour la France durant la Grande Guerre. Mais à ma grande surprise, Théophile n’y figurait pas.
Comment son nom pouvait-il être inscrit sur le monument aux morts sans aucune fiche associée ? Ce n’est qu’aux archives départementales du Morbihan, à Vannes, que j’ai obtenu une explication. D'après sa fiche militaire, Théophile n’est pas mort au combat. Il est décédé dans son village, à l’âge de 20 ans, deux mois après avoir été réformé pour tuberculose pulmonaire alors qu’il faisait partie du 262e régiment d’infanterie. Il n’a pas officiellement été considéré comme "Mort pour la France".
Pourtant, dans son village breton, cet honneur lui a quand même été rendu. Dans les archives de la paroisse, le curé de l’époque a inscrit son nom sur la liste des soldats de Caro morts à la guerre. La mairie lui a aussi rendu hommage à travers le monument aux morts, aux côtés des autres poilus de la commune pour l’année 1917. Selon l’historien Franck David, auteur de l’ouvrage "Comprendre le monument aux morts : Lieu du souvenir, lieu de mémoire, lieu d’histoire", cette situation n’est pas si étonnante : "L'appellation 'Mort pour la France' attribuée par le ministère de la Guerre est distincte de l'inscription sur le monument aux morts, cette dernière relevant des municipalités qui avaient toute liberté de ce point de vue".
Un oublié
Avant l’inauguration du monument en 1923, une quête a été organisée à Caro pour aider à sa construction. Un livre d’or a été établi avec les sommes versées par les habitants. Les parents de Théophile, des agriculteurs aux revenus modestes, ont versé un peu plus d'argent que la plupart des autres villageois, 20 francs contre 5 à 10 francs en moyenne. Une manière pour eux, peut-être, de s’assurer que le nom de leur fils ne soit pas oublié.
Mais pourquoi Théophile n’a-t-il tout simplement pas été reconnu comme "Mort pour la France" ? "L'armée ne pouvait enregistrer ces décès puisqu'ils survenaient lorsque les soldats n'étaient plus dans ses rangs. Donc si personne n'a fait de démarche auprès de l'armée pour faire connaître, puis reconnaître ce décès imputable aux faits de guerre, cet homme est effectivement un oublié", explique Franck David. "L'historien Antoine Prost, le spécialiste de la question, estime qu'il y aurait ainsi plusieurs dizaines de milliers de soldats non morts pour la France oubliés des statistiques et des registres", précise-t-il.
Une mémoire enfin honorée
Cent ans après, cet oubli peut être corrigé. Il est toujours possible de demander une reconnaissance du statut de "Mort pour la France" en déposant un dossier auprès de l’Office national des Anciens combattants (Onac). C’est la démarche que j’ai entreprise pour Théophile en rassemblant tous les documents retrouvés sur lui et tout particulièrement les descriptions sur son état de santé. En un mois seulement, la décision de l’Office m’est parvenue : "J’ai l’honneur de vous faire connaître que la mémoire de Monsieur Réminiac sera honorée par l’attribution de la mention 'Mort pour la France'". Désormais, en marge de son acte de décès figure cette mention. Une fiche à son nom a également été ajoutée sur le site Mémoire des hommes. Cela ne change rien à son triste destin, mais le jeune homme a retrouvé sa place parmi tous les autres poilus.
Au cours de mon enquête, j’ai désespérément recherché une photo de mon arrière-grand-oncle, sans succès. Chez un cousin éloigné, je n’ai retrouvé que deux traces particulièrement émouvantes de Théophile. À son décès, ma famille a étonnamment fait encadrer deux documents. Le premier, l’acte de communion du jeune homme. Le second, son congé de réforme définitive. Ironie du sort, il a été établi par le ministère de la Guerre, le 7 juin 1918. Théophile était déjà mort et enterré depuis plusieurs mois.