Palme d'or du dernier Festival de Cannes, "The Square" se veut une satire grinçante de l'art contemporain et des "bobos" bien-pensant qui le peuplent. Une charge un brin facile qui se limite à une succession de sketches peu convaincants.
Le distributeur de la Palme d’or 2017 avait-il prémédité son coup ? Alors que la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) s’apprête à investir Paris, "The Square" sort sur les écrans français, mercredi 18 octobre. Les deux événements, a priori sans lien, ont beaucoup trop en commun pour qu’on n’y voit un simple hasard de calendrier. Satire grinçante du monde de la culture tendance "bobo bien-pensant", le film du Suédois Ruben Östlund saura, en effet, faire écho aux incontournables articles qui, à chaque Fiac, se font fort de moquer le ridicule des œuvres qui y sont présentées.
Archétype d’une élite cultivant l’entre-soi jusqu’à la caricature, l’art contemporain avait-il besoin qu’on l’égratigne durant plus de deux heures et demie avec un plaisir quasi sadique ? Ruben Östlund a jugé que oui. Le premier à faire les frais de cet éreintage en règle est le personnage principal, Christian (Claes Bang), conservateur d’un musée réputé de Stockholm. Il est beau, élégant, bien portant, moderne, ouvert au monde. Les œuvres d’art qu’il accueille dans son établissement sont des appels à la tolérance et à la compassion. L’installation "The Square", qui donne son nom au film, en est la pièce maîtresse : un quadrilatère tracé au sol à l’intérieur duquel une plaque explique : "Le Carré est un sanctuaire où règnent confiance et altruisme. Dedans nous sommes tous égaux en droits et en devoirs".
"Bad buzz", homme-singe et autoflagellation
Le long-métrage d’Östlund viendra alors sans cesse nous rappeler que pareille profession de foi n’a que peu de valeur chez les nantis donneurs de leçons. Aussi, lorsque Christian se fait voler portable, portefeuille et boutons de manchette en pleine rue, il n’est plus tellement question de confiance et d’altruisme. Sous ses dehors humanistes, le quinqua sexy est prêt à se rabaisser aux plus viles mesquineries pour récupérer ses biens. Quitte à se retrouver dans des situations terriblement cocasses - et bien méritées -, comme lorsqu’il se voit obliger de demander à un mendiant de garder ses sacs dans un centre commercial où il a perdu la trace de ses deux filles - car, bien évidemment, Christian n’est pas le plus attentionné des pères, trop occupé qu’il est à se regarder le nombril.
Les autres personnages ne sont pas logés à meilleure enseigne. Mention spéciale aux deux pubards têtes-à-claques chargés de promouvoir l’actualité du musée à coup de vidéos virales. Tellement virales que l’une d’elle finira par provoquer un "bad buzz" auprès de l’opinion publique, elle aussi, bien-pensante. Bref, tout ce petit monde est bien pathétique. Et mérite bien une petite leçon, que Ruben Östlund dispensera au détour d’une dérangeante scène de dîner de gala pince-fesses où un homme-singe (interprété par un vrai artiste performeur, Terry Notary) vient littéralement chercher des poux dans la tête des convives (et plus si non affinités).
Dans "Snow Therapy", son précédent long-métrage, le cinéaste suédois bousculait déjà la bourgeoisie en montrant la désagrégation d’un couple ne se supportant plus. Moins sermonneur que "The Square", le film laissait déjà percevoir un penchant pour l’autoflagellation moralisatrice (on imagine que Ruben Östlund vient peu ou prou des milieux qu’il décrit). "The Square" est un summum du genre, dont l’intérêt peine à aller au-delà de la succession de sketchs plus ou moins grinçants (à l’image de cette scène du spectateur atteint du syndrome de la Tourette, drôle au début, crispante à la fin). Un peu court pour une Palme d’or.