Retrait des États-Unis, présence réduite de chefs d’État : la COP23 de Bonn, qui s'ouvre en novembre, s'annonce moins décisive que la médiatique COP21 de Paris. Mais, pour ses organisateurs, elle est tout aussi cruciale pour l'avenir de la planète.
Deux ans après la COP21, qui avait abouti à la signature de l’accord de Paris, les négociations sur le climat se trouvent désormais au cœur de leur phase la moins glamour, qui est aussi la plus technique : celle de la concrétisation des engagements pris en 2015. Convertir les paroles en actes : c’est là tout l’enjeu de la COP23, qui se déroulera du 6 au 17 novembre à Bonn, en Allemagne.
“La COP23 a pour but d’établir des ponts entre les avancées réalisées à Marrakech [lors de la COP22, NDLR] et la prochaine étape d’implémentation de l’accord de Paris lors de la COP24 en 2018 en Pologne”, explique Frank Bainimarama, Premier ministre des îles Fidji et président de la COP de Bonn. C’est effectivement l’année prochaine que doivent être adoptées les mesures d’application de l’accord de Paris et que seront évaluées les actions de chaque pays ainsi que ce qu’il leur reste à faire. Mais aussi noble soit-elle, la tâche ne semble pas déchaîner les passions et l’événement ferait presque figure de “sous-COP”.
Et pour cause, presque aucun chef d’État ou de gouvernement n’assistera aux négociations techniques et ne mettra “les mains dans le cambouis”. La plupart des pays se contenteront d’envoyer une délégation. “Le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel doivent faire une apparition pour prononcer un discours, mais la fenêtre politique sera bien plus courte que lors des COP précédentes”, prévient Lucile Dufour, responsable des négociations internationales et du développement pour le Réseau Action Climat (RAC).
Cette dernière n’y voit pas pour autant un mauvais signe : selon elle, moins de politique et moins de poudre aux yeux vont permettre de laisser la place à de réelles avancées concrètes et techniques sur les négociations. En somme, une COP peut-être plus discrète, mais une COP plus efficace.
La COP de l’urgence pour les îles pacifiques
Conscient que l’aspect politico-diplomatique occupera une place moindre, le président fidjien de la COP Frank Bainimarama espère utiliser ce vide politique pour donner de la voix et défendre les habitants du Pacifique, particulièrement vulnérables aux changements climatiques et à la montée du niveau des océans.
“Les enjeux pour nous sont extrêmement importants, spécialement pour nos amis des îles Marshall, Tuvalu et Karibati, dont l’existence même est menacée. Mettre en œuvre l’accord de Paris est crucial, mais pas suffisant pour nous sauver. Nous devons aussi convaincre le reste du monde d’aller encore plus loin”, avait déclaré Frank Bainimarama lors du discours d’ouverture d’un rassemblement préparatoire à la COP le 16 octobre. Experts et ONG estiment que le réchauffement climatique devra être limité à 1,5°C pour éviter aux îles et littoraux les plus menacés d’être rayés de la carte. Les signataires de l’Accord de Paris se sont accordés sur un seuil de seulement 2°C.
Frank Bainimarama, Premier ministre des îles Fidji et président de la COP23
We can’t resign ourselves to our fate. We can fix this problem. We don't need to fear the future--if we have the courage to act now. @FijiPM pic.twitter.com/NPso8rdsqB
COP23 (@COP23) 17 octobre 2017“Les bases doivent être posées dès maintenant et cette COP doit servir à passer à la vitesse supérieure”, affirme de son côté Lucile Dufour, qui martèle également l’urgence d’agir pour les pays insulaires et les littoraux. “L’accord de Paris nous a fourni de grandes lignes, mais il n’est ni concret, ni transparent. Les COP 23 et 24 vont déterminer comment les pays sont redevables et doivent aussi faire en sorte que les citoyens aient leur mot à dire. Et sur ce point, les habitants des îles pacifiques sont en première ligne pour témoigner des conséquences du changement climatique”, poursuit-elle.
Une UE plus fragmentée que jamais
Malgré le soutien de l’influent gouverneur de Californie Jerry Brown, difficile pour les modestes Fidji et leurs voisins de donner l’impulsion dans le contexte délétère du retrait des États-Unis de l’accord de Paris annoncé par Donald Trump. De quoi entamer le moral des troupes et donner du grain à moudre à ceux qui refusent les concessions.
En Europe, par exemple, les Vingt-Huit affichent des intentions disparates et des mesures des plus discordantes d’un pays à l’autre, même à moins de trois semaines de la COP23, durant laquelle l’UE est censée parler d’une même voix. À commencer par les pays charbonniers, comme la Pologne, qui freinent les négociations en refusant notamment d’augmenter le prix de la tonne de carbone dont doivent s'acquitter les entreprises polluantes. Varsovie est même en recherche de financement pour de nouvelles centrales à charbon. Puis en face, il y a ceux comme les Pays-Bas, qui comptent sortir du charbon d’ici à 2030 ou le Royaume-Uni, qui a annoncé la création d’une alliance mondiale pour exclure d’ici 2025 le charbon “sale” de son mix énergétique.
Troisième plus gros émetteur mondial de gaz à effet de serre après la Chine et les États-Unis, l’Union européenne (UE) promet de réduire ses émissions de 40 % à l’horizon 2030 par rapport à leur niveau de 1990 (pour l’industrie) et de 30 % sous les niveaux de 2005 pour les secteurs des transports, de l’agriculture, du bâtiment et de la gestion des déchets.
Tentant d’éviter la cacophonie à Bonn, les ministres européens de l’Environnement ont approuvé dans la douleur, le 13 octobre, un plan d’action plutôt consensuel composé de plusieurs mesures sur la tarification du carbone et les efforts de chacun. Mais celui-ci est bien trop insuffisant pour parvenir à atteindre les objectifs de l’UE. “Les États peuvent utiliser un grand nombre de flexibilités afin d’échapper à leurs responsabilités de réduire les émissions de les secteurs [des transports, de l’agriculture, du bâtiment et de la gestion des déchets]. L’objectif sur le papier de 30 % de réduction de gaz à effet de serre équivaut, dans les faits, à une réduction réelle de 23 % d’ici à 2030”, assure le Réseau Action Climat.
“Prêts à avancer, peu importe la position de Washington”
En France, le ministre de la transition écologique Nicolas Hulot a tout de même tenu à saluer ce “compromis” atteint par les Vingt-Huit : “Il démontre notre détermination à inscrire dans le droit de l’Union européenne les engagements pris lors de la COP21, (...) alors que certains de nos partenaires s’attaquent aux politiques climatiques”.
Cela dit, “la France est consciente que l’UE doit encore faire plus, parce les objectifs que nous avons collectivement adoptés à Paris ne sont pas suffisants pour nous permettre de maintenir le réchauffement de la planète en-dessous de 2°C”, nuance-t-il. Mais à la veille de la COP23, l’état d’esprit qui prévaut semble être : “Mieux vaut un texte à présenter à Bonn que pas de texte du tout”, résume le RAC.
“L’Europe et la France jouent un double-jeu : elles défendent des politiques climatiques incisives et se montrent très ambitieuses sur la scène internationale, mais ça coince dès qu’on rentre dans le concret”, regrette Lucile Dufour, qui demeure toutefois optimiste : “Depuis l’arrivée de Donald Trump, on a passé neuf mois à défendre l’accord de Paris. On a bien vu lors des G7 et G20 que tous les pays sont prêts à avancer, peu importe la position de Washington. Reste à poursuivre les chantiers entamés pour passer de la parole aux actes dès 2018.”