Emmanuel Macron a séduit les acteurs du monde agricole lors de son grand oral à Rungis, mercredi. Davantage grâce à sa vision de l'avenir du secteur que par ses annonces.
Emmanuel Macron avançait en terrain agricole miné, mercredi 11 octobre, lors de son grand oral devant le monde agricole. Le patron de l’enseigne de grandes surfaces Leclerc, Michel-Édouard Leclerc, avait mis en garde contre une "guerre des prix" qui desservirait les consommateurs. Un avertissement qui avait déclenché la fureur des syndicats d’agriculteurs qui voient dans la grande distribution l’un des responsables des difficultés financières du monde agricole et réclament un coup de pouce de l’État.
Face à ces attentes, le président a parlé... et a séduit. La confédération paysanne s’est déclaré "globalement satisfaite", la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) a "apprécié" la compréhension d’Emmanuel Macron des "enjeux" et Michel-Édouard Leclerc s’est "retrouvé dans l’analyse" du chef de l’État.
“Tout le monde est content”
Un exploit. Car Emmanuel Macron n’a "pas annoncé de mesures particulières qui sont reportées à début 2018", souligne Vincent Chatellier, ingénieur de recherche à l’Institut national de la recherche agricole (Inra) et spécialiste de l’économie des filières agricoles, contacté par France 24. Mais l’essentiel est ailleur, d'après le chercheur: "Tout le monde est content, parce que le président leur donne l’occasion de s’exprimer". Le président Macron a réussi à convaincre tous les acteurs du secteur à se mettre autour de la table des négociations. En ces temps de mauvaise passe pour les agriculteurs, "engager une réflexion commune sur la situation est opportun", estime-t-il
L’agriculteur français voit, en effet, ses revenus moyens se détériorer. En cause : "le prix des matières premières baisse, il y a une érosion des subventions européennes à certaines catégories d’exploitants, l’agriculture subit les aléas climatiques (2016 a été la pire année en plus de vingt ans pour les céréaliers) et la concurrence de pays européen comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore l’Espagne, devient plus forte”, résume Vincent Chatellier.
Mais Emmanuel Macron ne s’est pas contenté de jouer les psychothérapeutes de groupe pour libérer la parole d’un secteur sur la défensive. Il a aussi tenté de fixer un cap avec cette phrase reprise par tous les médias : “nous modifierons la loi pour inverser la formation du prix qui partira du coût de production”.
Elle semble indiquer la volonté de renverser l'équilibre des forces, au profit des producteurs agricoles pour leur permettre de mieux négocier les prix avec les quatre centrales françaises d’achat. Pas si vite, répond Vincent Chatellier. Un tel scénario serait difficile à mettre en pratique. "Certes, le gouvernement veut donner un peu plus de pouvoir aux organisations d’agriculteurs, mais si elles décalent trop le prix, les grandes enseignes vont simplement aller acheter les produits ailleurs”, analyse cet expert.
Le consommateur va payer
Pour lui, Emmanuel Macron précise surtout le champ des possibles de sa politique. Faute de moyens, il ne peut pas augmenter les subventions. Il ne peut non plus agir dans les domaines où la politique agricole commune (PAC) fixe les règles, et n’a pas le pouvoir d’influencer la concurrence internationale. Il ne reste donc plus qu’un seul levier : le prix des produits pour le marché national. D’où sa volonté de changer la donne du dialogue entre producteurs agricoles et grandes enseignes.
Le chef de l’État a donné deux pistes pour démarrer les négociations. Il a évoqué un encadrement des promotions dans la grande distribution. Autrement dit, il veut déterminer jusqu’où les grandes surfaces peuvent brader les prix sans appauvrir les producteurs. L’autre chantier concerne les reventes à perte. Dans certains cas, encadrés par la loi, les enseignes peuvent proposer des prix de vente inférieurs à la valeur d’achat auprès des producteurs. Ces derniers réclament que le seuil (prix en dessous duquel les magasins ne peuvent pas descendre) soit relevé.
"Il ne faut pas se leurrer, le coût de ces réformes serait supporté par les consommateurs", note l'ingénieur de l'Inra Vincent Chatellier. Ces changements se traduiraient par moins de bonnes affaires dans les supermarchés.
En définitive, son approche pour le monde agricole est la même que pour la réforme fiscale. Dans un cas, la baisse de l'imposition des plus riches est censée les inciter à investir davantage dans les entreprises. Dans l’autre, les grandes surfaces vont améliorer leurs marges grâce à des promotions plus chères et le gouvernement espère qu’elles vont ensuite reverser le surplus aux producteurs. Dans les deux cas, l’État, à court d’argent, compte sur ceux qui en ont pour dépenser plus. Pour Vincent Chatellier, "c’est un pari" dans chacune des options.