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"Sexe et mensonges" : Leïla Slimani plaide pour la liberté sexuelle des Marocaines

Dans "Sexe et mensonges", en lice pour le Renaudot 2017 de l'essai, la romancière franco-marocaine Leïla Slimani oppose la parole de femmes marocaines à l’hypocrisie d’un pays qui condamne tout ce qui touche à la liberté sexuelle.

Bienvenue en schizophrénie, où le sexe tient autant du tabou que de l’obsession. Dans son dernier livre, "Sexe et Mensonges", sélectionné pour le prix Renaudot 2017 de l'essai, Leïla Slimani recueille les témoignages de Marocaines, éprises de liberté sexuelle dans une société qui réprime pénalement les rapports sexuels hors mariage. Un royaume qui voue un culte à la virginité et se hisse dans le même temps en cinquième place des ventes de films pornographiques.

Dans son ouvrage, l’auteure franco-marocaine ne prétend ni livrer une étude sociologique ni une enquête journalistique. "Ce que je voulais, c’était livrer cette parole brute. Cette parole vibrante et intense, ces histoires qui m’ont bouleversée, émue, mise en colère et parfois révoltée." Elle donne ainsi la parole à Malika, Nour, Faty ou Jamila. Chacune d’elles est le témoin de cette hypocrisie à grande échelle qui rend complexes les relations entre les hommes et les femmes et engendre frustration, souffrance et violences.

Quand Leila Slimani utilise la BD pour briser les tabous ... #LeilaSlimani #BD #lire #lecture #lectrices... https://t.co/6TPYAa45HA

  osez les livres (@LesOsez) 27 septembre 2017

Tiraillées entre soumission et émancipation

Des récits intimes qui confinent souvent à la tragédie. Une "élégante trentenaire de la classe moyenne d'Agadir" évoque notamment les attouchements qu’elle a subis de son cousin à l’âge de 5 ans. Elle dit aussi son insatiable désir de liberté sexuelle. "Un jour, tu sais, j'ai décidé d'être un mec. Je me suis dit : je sors en boîte, je choisis le mec que je veux et je me le fais. Voilà, j'avais besoin de faire ça, et je l'ai fait. Et c'était magnifique !"

Une femme médecin célibataire de 40 ans revient, elle, sur son avortement. Une pratique illégale au Maroc sauf en cas de viol, de malformations graves ou d'inceste. Une autre, Mouna, raconte la difficulté de vivre son homosexualité dans ce pays qui pénalise de six mois à trois ans de prison "toute conduite tendancieuse ou contre-nature entre deux personnes de même sexe", selon l’article 489 du Code pénal. "Les lesbiennes que je connais ici souffrent, elles sont malheureuses, même si elles disent assumer de vivre dans le mensonge", confie la jeune femme.

"Vierge ou pute"

L’auteur convoque tour à tour écrivains, sociologues, journalistes qui ont écrit sur le sujet pour dénoncer une société manichéenne, où les femmes n’ont d’autres choix que d’être vierge ou épouse. En dehors de ces deux perspectives, point de salut. Sinon d’accepter d’endosser la terrible image de femme de petite vertu, pour dire les choses poliment.

Face aux 600 IVG clandestines pratiquées chaque jour au Maroc, aux nombreuses affaires de viol, d’inceste, impossible de ne pas mesurer la dimension politique de l’ouvrage. D’abord parce la liberté sexuelle est le fait de l’État. "Une femme dont le corps est soumis à un tel contrôle social ne peut pas jouer pleinement son rôle de citoyenne. En étant à ce point “sexualisée”, exhortée au silence ou à l’expiation, la femme est niée en tant qu’individu", défend l’écrivaine, dont le livre est sorti librement au Maroc. Ensuite, parce que la liberté des femmes à disposer de leur corps et de leur sexualité n’échappe pas à la question de l’égalité homme/femme. "C’est par le biais de la sexualité que la domination masculine s’est établie dans de multiples civilisations. Défendre les droits sexuels, c’est directement défendre les droits des femmes."

Les Marocaines, otages "des religieux et du patriarcat"

"Les femmes doivent retrouver le moyen de peser sur une culture qui est l'otage des religieux et du patriarcat", résume la lauréate du Goncourt 2016 pour son roman "Chanson douce". Pas question pour autant de dresser un réquisitoire contre l’islam. "Cessons d’opposer islam et valeurs universelles des Lumières, islam et égalité des sexes, islam et plaisirs charnels. Car la religion musulmane peut être vue d’abord comme une éthique de la libération, de l’ouverture à l’autre, comme une éthique intime et pas seulement comme une morale manichéenne."

Un livre de combat malgré tout optimiste. "Ces femmes sont, je l’espère, l’avenir de mon pays. Elles n’attendent pas qu’on leur donne l’espace de vivre leur vie […]. En l’absence de modèles, elles sont dans l’invention d’elles-mêmes."