La question de l’intégration des réfugiés en Allemagne est centrale pour une grande partie des électeurs qui votent dimanche pour renouveler le Bundestag. France 24 en a rencontré plusieurs qui ont réussi, même s'ils restent une minorité.
C’est une pharmacie qui ne paie pas de mine, installée à Bursheid, un petit patelin d’environ 20 000 habitants dans l’arrière pays de Leverkusen (ouest de l’Allemagne). Elle fait partie du décor campagnard depuis cent quatre-vingts ans et appartient à la même famille – les Winterfeld – depuis 1930. Difficile de faire plus local.
Derrière le comptoir, une jeune femme de 25 ans sert les clients et répond à leurs interrogations dans un allemand encore hésitant. Basma al-Yasiri a enfilé la blouse blanche peu après avoir fui Bagdad en 2015. Elle vient de finir sa période d’apprentissage et travaille maintenant comme assistante pharmacienne pour les frères Winterfeld, qui gèrent l’endroit. Elle n’est pas la seule réfugiée à avoir été prise sous l’aile protectrice des deux pharmaciens. Dans l’arrière boutique, Yazen [*le prénom a été changé] , un autre Irakien de 27 ans, et Badii Sleiman, un Syrien de 32 ans, s’affairent à préparer des médicaments. Une autre réfugiée, franco-syrienne, doit arriver la semaine prochaine.
"J’étais désespéré"
La pharmacie Adler illustre, à elle seule, que le système à l’allemande d’intégration par le travail peut fonctionner. Un symbole fort alors que plus de 1,3 million de réfugiés, essentiellement syriens, sont arrivés sur le territoire allemand depuis 2015 et que la question de leur devenir dans la société est centrale pour 40 % des électeurs qui votent ce dimanche 24 septembre.
Basma al-Yasin a été la plus chanceuse des trois. Elle est arrivée directement dans un foyer à Bursheid, et "trois mois plus tard une voisine m'a mis en contact avec les pharmaciens", raconte-t-elle. Ils la soutiennent dans ses démarches administratives, l’aide à travailler son allemand et la font réviser pour l’examen qui lui a permis de faire reconnaître en Allemagne son diplôme irakien de pharmacienne. Un préalable essentiel pour pouvoir entrer sur le marché du travail.
Yazen et Badii Sleiman ont eu davantage de difficultés. "Peu après être arrivé, je me suis rendu dans un 'job center' [équivalent de pôle emploi] pour obtenir l’équivalence de mon diplôme et on m’a tout simplement dit que c’était impossible. J’étais désespéré", se rappelle Yazen, qui a encore du mal à répondre en allemand et préfère, parfois, utiliser l’anglais. Il a alors envoyé des dizaine d’emails et n’a reçu qu’une seule réponse : de la pharmacie Adler. Badii Sleiman, quant à lui, n’en revient toujours pas du soutien apporté par les pharmaciens : "Quand je disais qu’une démarche n’allait pas aboutir, Andreas [lun des deux frères] répondait toujours de ne pas s’inquiéter que ça prenait du temps, mais qu’il avait l’habitude".
Les frères Winterfeld ne se démènent pas ainsi par pur altruisme. "Il y a un déficit de main d’œuvre dans beaucoup de secteur et la pharmacie ne fait pas exception. On ne trouve tout simplement pas d’apprenti allemand", assure Thomas Winterfeld. Un pied de nez à tous ceux qui, en Allemagne, prétendent que les réfugiés prendraient la place de travailleurs locaux. Mais au fil du temps, les motivations du pharmacien ont évolué. "C'est aussi très enrichissant. Les pays arabes ont une grande culture de la pharmacologie et découvrir leurs habitudes de travail est très instructifs", affirme-t-il.
Tout reprendre à zéro
Pour Basma, Badii et Yazen, les frères Winterfeld ont été une bénédiction. Samer Alboush, lui, a dû y arriver tout seul. À 40 ans, ce Syrien, un ancien conseiller du gouvernement de Bachar al-Assad devenu trop critique, a dû quitter son pays fin 2014 "pour éviter de finir en prison". Il s’est installé à Bonn, l’ancienne capitale de la République fédérale allemande. Il habite avec sa femme et ses quatres enfants dans un quartier de logements sociaux où résident exclusivement des réfugiés. "Des Syriens pour la plupart", note-t-il. Les immeubles n'ont rien à voir avec les barres HLM de banlieues françaises. Ils ont trois ou quatre étages maximum et chaque appartement a un grand balcon.
Il a dû tout reprendre à zéro. "À 40 ans, ce n’est pas facile, surtout si vous aviez tout dans votre pays d’origine", note le docteur Samer Alboush. Il tient à son titre, très prestigieux en Allemagne. Il a dû apprendre une nouvelle langue, trouver en même temps une organisation où il a fait un apprentissage qui lui a permis de faire reconnaître en Allemagne son doctorat en relations internationales, s’inscrire à d’autres apprentissages, suivre des formations. Un marathon qui lui permet aujourd’hui de travailler deux heures par jour comme comptable et d’avoir trouvé une autre place d’apprenti dans une société d’import/export. Il fait tout ça avec un but en tête : "J’espère pouvoir devenir conseiller indépendant pour des entreprises ou organisations qui ont besoin d’aller dans les pays arabes". En attendant, il a déjà pu passer le permis, s’acheter une petite voiture et deux télés.
Exceptions à la règle
Mais tous les réfugiés n’ont pas la persévérance de Samer Alboush, ou la chance de tomber sur des pharmaciens providentiels. Ils sont plutôt les exceptions qui confirment la règle. La règle ? "Si vous n’avez pas d'aide ou que vous n'êtes pas très habitué à la bureaucratie, il est impossible de comprendre et de s'en sortir avec toute la paperasse à remplir", affirme Badii Sleiman, le préparateur en pharmacie irakien.
Les chiffres officiels ne sont pas encourageants. Seul un réfugié arrivé depuis 2015 sur dix a un travail, une formation ou se trouve en apprentissage. Parmi ceux qui trouvent, la plupart sont dans l’hôtellerie, l’aide à la personne ou le bâtiment. Des jobs qui paient peu et sont généralement précaires. Pour certains, c’est la preuve que le système ne fonctionne pas.
D’autres soulignent qu’il faut du temps. Dans le cas de migrants qui sont arrivés en 2013, les statistiques augmentent considérablement puisque plus de 30 % se sont intégrés sur le marché du travail. Mais quatre ans, c’est long. "Pour la moyenne des gens, c'est trop", assure Herbert Brücker, un chercheur de l’Institut d’étude du marché du travail de Nuremberg, interrogé par la Süddeutsche Zeitung.