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Continuité et coups médiatiques, la diplomatie selon Macron

Emmanuel Macron a défendu à l'ONU, mardi, le multilatéralisme et la notion de "biens communs". Un discours typiquement français, selon le spécialiste de la diplomatie française Christian Lequesne, interrogé par France 24.

Nouveau chapitre de l'action diplomatique d'Emmanuel Macron : le président français a prononcé, mardi 19 septembre à New York, son premier discours lors d’une Assemblée générale des Nations unies, dans lequel il a défendu une approche multilatérale des crises mondiales et la notion de "biens communs" – qui vont de la paix à la justice en passant par le climat et la culture – tout en insistant sur l'importance de l'ONU dans la résolution des crises.

Un discours en droite ligne avec ceux de ses prédécesseurs, selon Christian Lequesne, professeur à Sciences-Po Paris, spécialiste de la politique étrangère française et auteur d'"Ethnographie du Quai d’Orsay" (CNRS éditions, 2017).

France 24 : Que retenez-vous du discours d’Emmanuel Macron à l’ONU ?

Christian Lequesne : On a assisté à une défense en règle du multilatéralisme qui arrive à un moment où les États-Unis ont un président qui semble très sceptique au sujet du rôle des institutions internationales. Certains ont parlé en France d’une main tendue de Macron à Trump lors du 14-Juillet, mais là, clairement, il lui a envoyé des coups de griffe, en particulier sur l’accord de Paris sur le climat et sur l’Iran. Avec ce discours, Emmanuel Macron positionne la France comme garante du multilatéralisme face à la force du plus fort, soit tout le contraire des intentions affichées par Donald Trump dans son discours quelques heures plus tôt.

Emmanuel Macron essaie d’utiliser toutes les possibilités pour montrer que la France peut jouer un rôle dans le monde. C’est un grand classique de la diplomatie française : essayer de trouver la petite faille qui nous permettra de nous distinguer des États-Unis. Par ailleurs, la défense du multilatéralisme institutionnel que représente l’ONU est une façon de récupérer un capital politique, notamment vis-à-vis des pays du Sud, que l’Amérique n’est pas en mesure aujourd’hui d’assurer.

Peut-on dire, comme vous venez de le faire au sujet de son discours à l’ONU, que l'action diplomatique menée par Emmanuel Macron depuis quatre mois est peu différente de celle de ses prédécesseurs ?
 

Tout à fait. Emmanuel Macron s’inscrit très largement dans la continuité des présidents de la Ve République. Si on regarde l’action menée par ses prédécesseurs, du général de Gaulle à François Hollande, il n’y a pas de grosse spécificité Macron en politique étrangère par rapport à ce qui a existé auparavant. C’est la première chose.

Néanmoins, il a quand même affiché l’Europe comme une priorité, avec beaucoup de volontarisme, ce qui change par rapport au quinquennat précédent. Contrairement à François Hollande, qui n’avait pas d’objectif à long terme, là, clairement, la politique étrangère d’Emmanuel Macron est d’abord une politique européenne. Mais cela a déjà existé. Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand aussi avaient placé l’Europe parmi leurs priorités, tout comme Nicolas Sarkozy, dans une moindre mesure, au début de son quinquennat. Et comme eux, Emmanuel Macron compte sur l’Europe pour maximiser la puissance française. Son but est de faire apparaître la France comme le pays qui va permettre à l’Europe de se relancer.

Sur le reste, Macron n’a pas changé grand-chose, hormis dans le dossier syrien puisqu’il accepte dorénavant qu’Assad puisse faire partie d’une solution à la crise, son départ du pouvoir n’étant plus un préalable mais un objectif à plus long terme. Cela traduit une continuité par rapport à la realpolitik française : la France parle à tout le monde, Donald Trump comme Vladimir Poutine, et y compris ceux qui sont moyennement fréquentables, parce que la diplomatie n’est pas une affaire de sentiments et que la France veut se placer en position de médiateur dans les conflits. C’est finalement le reflet de la vieille ambition universaliste française : dans ce domaine, Emmanuel Macron est le fruit d’une élite française très classique.

Le chef de l'État semble vouloir s'emparer de tous les sujets, mais ses actions donnent parfois l'impression de relever davantage de la communication que d'un réel souci de faire avancer tel ou tel dossier…

De plus en plus, la politique étrangère consiste aujourd’hui à surfer sur les vagues, à faire des coups. Sur la Libye par exemple, Emmanuel Macron en a fait un en réunissant le Premier ministre Sarraj et le général Haftar et, finalement, dans son esprit, peu importe que des reproches lui soient faits par la suite pour pointer du doigt les limites de son intervention dans ce dossier. Il s’inscrit dans un mouvement général qui fait que les leaders ont désormais une approche beaucoup plus tactique que stratégique : dès qu’il y a un dossier diplomatique dans lequel on peut s’engouffrer pour afficher la présence de son pays, on le fait. Et à l’évidence, Emmanuel Macron fait beaucoup ça.

Cela se vérifie aussi dans son rapport direct avec les autres chefs d’État. Barack Obama avait une relation forte avec Angela Merkel et les États-Unis, durant ses deux mandats, donnaient, en Europe, la priorité à Berlin. En revanche, la relation Trump-Merkel est mauvaise et Macron a su saisir l’opportunité pour repositionner Paris vis-à-vis de Washington. C’est la même chose avec la Turquie. La relation est très tendue aujourd’hui entre Merkel et Erdogan, du coup, Macron en profite.

L’autre raison de sa grande activité diplomatique est à chercher dans son ambition personnelle sur la scène intérieure. Emmanuel Macron est engagé dans un programme de réformes interne ambitieux et se dit que pour sa propre popularité, il est utile d’utiliser l’action extérieure pour contrebalancer un peu l’impopularité que pourraient susciter ses réformes en France.

Quelles vont être les difficultés pour le président français à l'avenir ?

Le point essentiel de sa diplomatie, c'est l'Europe, qu'il a affichée comme priorité. Un certain nombre d'ingrédients pour une réforme de la zone euro ont été mis sur la table à Athènes. Et clairement, il a mis la barre très haut, en plaçant beaucoup d’espoir sur la relation franco-allemande. Car sa volonté réformatrice dépend beaucoup de l’Allemagne. Or, du côté de Berlin, on sera prêt à engager une vraie réforme de la zone euro seulement si la France réussit d’abord ses propres réformes. L’autre facteur, externe celui-là, et sur lequel Emmanuel Macron n’a donc aucun contrôle, c’est la coalition qui sera présente à l’issue des élections allemandes. Il sera plus simple pour le président français de faire accepter ses propositions à une coalition CDU-SPD qu’à une coalition entre la CDU et le parti libéral-démocrate (FDP), qui sera beaucoup plus inflexible sur tout retard français dans le respect des critères économiques de Maastricht.

Enfin, il devrait peut-être travailler davantage la question de ses rapports avec les pays d’Europe centrale et orientale. Il y a bien évidemment un euroscepticisme fort chez ces pays et un comportement qui n’est pas acceptable dans la crise des réfugiés, mais ce n’était pas la peine de les stigmatiser. Emmanuel Macron a été maladroit sur la Pologne. Ses propos ont pu alimenter le nationalisme polonais, donc au final, c’est contre-productif.