
Convoqué devant un tribunal militaire au Liban, pour avoir tourné en 2012 en Israël, en violation de la législation du pays, le réalisateur franco-libanais Ziad Doueiri, tout juste primé à Venise et de retour à Beyrouth, a bénéficié d'un non-lieu.
Tout un cinéma ! À peine récompensé, d’un prix par le jury de la 74e Mostra de Venise pour son dernier film "L'Insulte", le réalisateur libanais Ziad Doueiri, aussi détenteur de la nationalité française, aurait espéré un autre accueil que celui qui lui a été réservé à son retour au Liban dimanche. En guise de reconnaissance, le cinéaste, qui rentrait d'Italie, en prévision de l'avant-première de son film, a été placé en détention dans l’enceinte de l’aéroport de Beyrouth, peu après sa descente d'avion. Après plus de deux heures de détention, il s’est fait confisquer ses deux passeports, avant de se voir convoquer le lendemain, lundi 11 septembre, devant un tribunal militaire. Et ce, sans que son chef d’accusation ne lui soit précisé.
Non-lieu
Interrogé pendant une heure, Ziad Doueiri a finalement bénéficié d’un non-lieu et récupéré ses papiers, le juge ayant estimé que les faits reprochés, à savoir le tournage de son avant-dernier film "L'Attentat", qu’il a effectué en partie en Israël en 2012, étaient prescrits.
Il était précisément accusé, selon son avocat Me Najib Lyan, "d'avoir violé l'article 285 du code pénal libanais qui interdit toute visite en territoire ennemi sans autorisation préalable". Un délit passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins un an au regard de la loi libanaise. Celle-ci interdit aux citoyens de se rendre en Israël, et de communiquer avec ses ressortissants. Le pays du Cèdre est techniquement toujours en guerre avec l’État hébreu, depuis la signature d’un cessez-le-feu en 1949, et revendique toujours des territoires dans le sud du pays, occupés par l’armée israélienne (les hameaux de Chebaa et les collines de Kfarchouba).
La bande-annonce de "L'insulte"
"Mon client a été remis en liberté, aucune accusation ne lui a été adressée", a assuré aux journalistes son avocat, affirmant que le dossier était "définitivement clos". D'après lui, à l'époque du tournage, M. Doueiri avait par ailleurs "adressé une requête aux autorités libanaises, expliquant qu'il voulait filmer sur le terrain, pour défendre la cause palestinienne (…) sans jamais avoir reçu de réponse".
"Je suis profondément blessé, indiquait-il dimanche à l’AFP. Je viens au Liban avec un prix de la Mostra de Venise [prix du meilleur acteur décerné au Palestinien Kamel el-Bacha pour son interprétation dans "L'Insulte", NDLR], et la police libanaise a autorisé la diffusion de mon film. Je ne sais pas qui est responsable de ce qui s'est passé".
Vendetta politique ?
Simple application de la loi, excès de zèle ou vendetta politique ? C’est vraisemblablement une campagne menée ces derniers jours par des journaux proches du Hezbollah, le parti chiite libanais, acteur d’un conflit meurtrier qui l’a opposé à l’armée israélienne lors de l’été 2006, qui est à l’origine de ses tracas.
Profitant de la sortie prochaine de son nouveau film, le journal al-Akhbar lui a réclamé des "excuses", car il est "coupable" à leurs yeux d’avoir tenté de normaliser les relations avec Israël. Notamment en s’étant rendu sur place, et en ayant employé des acteurs israéliens.
Pourtant Ziad Doueiri, qui a commencé sa carrière cinématographique aux côtés de l’Américain Quentin Tarentino dans les années 1990, a multiplié ces dernières années les séjours et les tournages au Liban, sans jamais être inquiété.
"J'ai effectivement filmé une partie du film à Tel Aviv, parce qu’une partie de l'histoire se déroule là-bas, avait expliqué à l’époque le cinéaste, sur sa page Facebook, après l’interdiction de diffusion qui avait frappé son film au Liban. J'ai eu recours à des acteurs israéliens parce qu'il s'agissait de mon choix artistique. Je n’ai aucun regret et je n’ai pas d’excuses à faire". Toujours en 2013, il avait confié à France 24 avoir reçu des menaces l’enjoignant à "être très prudent s’il remettait les pieds au Liban".
Vif débat en ligne
Sans surprise, cette nouvelle affaire, considérée par certains comme une atteinte à la liberté d’expression au Liban, voire du "terrorisme intellectuel", a provoqué un vif débat en ligne. Sur les réseaux sociaux, des citoyens et des hommes politiques ont manifesté leur soutien au réalisateur, face aux tenants d’une ligne intransigeante face à "l’ennemi" israélien.
زياد دويري مخرج لبناني كبير ومكرم في العالم،
احترامه وتكريمه واجب.#لبنان
Le ministre de la Culture en personne, Ghattas Khoury, a plaidé en faveur de Ziad Doueiri. "Ziad Doueiri est un grand réalisateur libanais reconnu dans le monde, il faut l’honorer et le respecter", a-t-il tweeté. Une sortie qui lui a valu des réponses virulentes de la part des détracteurs du réalisateur, taxé de "collaborateur", notamment par des sympathisants du Hezbollah.
Ironie de l’histoire, le gouvernement libanais, à travers son ministère de la Culture, avait sélectionné, ce même weekend, "L’Insulte" pour représenter le pays du Cèdre lors des Oscars 2018 dans la catégorie du meilleur film étranger.