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Irak : débarrassée de l’EI, Mossoul condamnée à la réconciliation avec Bagdad

Quelques jours après la reprise de Mossoul, la question de la gouvernance de la plus grande ville sunnite irakienne se pose déjà. À Bagdad, le pouvoir aux mains des chiites va devoir jeter les bases d’une réconciliation.

Dévastée, voire quasiment rayée de la carte, mais officiellement libérée du joug de l’organisation État islamique (EI) après neuf mois de guerre, Mossoul mettra du temps à se relever des décombres.

En plus des questions cruciales de la sécurisation et de la reconstruction de la ville "administrée" par les jihadistes depuis juin 2014, la question de sa gouvernance se pose comme une urgence dans un pays miné par les divisions confessionnelles.

Et pour cause, l’inquiétude est de mise au sein de cette ville à majorité sunnite, libérée par un pouvoir irakien aux mains de la communauté chiite depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, et incarné par le Premier ministre Haider el-Abadi.

Elle-même traversée par des divisions politiques, la communauté chiite va devoir garantir aux sunnites irakiens une participation effective aux affaires du pays et aux grandes décisions politiques, dont les avaient exclus l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki. Une politique, qui, combinée aux opérations sécuritaires menées dans l'impunité par les forces aux ordres de Bagdad, avait fini par frustrer les bastions sunnites et conduit à l’essor de l’EI en Irak.

"Mossoul a toujours été un peu rebelle"

Déjà, l'ONU, qui évalue à plus de 700 millions de dollars le montant des efforts initiaux de réhabilitation des services de base, du système éducatif et de la sécurité, ainsi que de la reconstruction de Mossoul, a lancé un appel le 12 juillet en faveur de la "justice" et de la "réconciliation".

Bagdad va devoir restaurer l'État de droit et "garantir que les droits de l'Homme et les besoins fondamentaux des civils vivant dans les zones reprises soient respectés", a indiqué le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Zeid Ra'ad Al Hussein.

"Mossoul a toujours été un peu rebelle par rapport au pouvoir basé à Bagdad, il va donc falloir trouver un modus vivendi avec sa population, qui après avoir subi le pire avec l’EI, va devoir composer avec les chiites", explique à France 24 Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

D’autant plus que, concentrées sur la reconquête militaire, les autorités irakiennes n’ont pas préparé de projet alternatif de gouvernance post-Ei à Mossoul, alors que la population semble pencher en faveur de la nomination d’un gouverneur militaire.

Officiellement, cette ville du nord de l'Irak doit être administrée par un conseil provincial, dirigé par un gouverneur civil. Un conseil qui, vu les circonstances, ne sera pas élu avant 2018. "Chaque fois que nous avons soulevé cette question, Haider el-Abadi répondait : 'Attendons que les opérations militaires soient terminées'", regrette l’ancien ministre des Affaires étrangères Hoshyar Zebari, cité par Reuters.

Ressentiments mutuels

En attendant d'y voir plus clair, la population sunnite de la ville redoute surtout la répétition d’exactions semblables à celles qui ont été attribuées à des milices chiites lors de la libération de bastions sunnites contrôlés par l’EI, comme à Tikrit, Ramadi et Falloujah. Au risque de semer les graines d’une résurgence de groupes jihadistes ou sectaires.

Pour l’instant, pour ne pas braquer la population, ces milices restent tenues à l’écart de Mossoul. Et les officiers de l’armée irakienne qui se sont emparés de la ville, quasiment tous chiites, jouent la carte de l’apaisement. Et ce, alors que le ressentiment des chiites à l’endroit des Mossouliotes, généralement perçus comme ayant clairement collaboré avec l’EI, est important.

L'ONG Amnesty International n’a pas attendu très longtemps pour accuser les forces irakiennes, et la coalition internationale qui l'appuie, d'avoir parfois eu recours à une utilisation inadaptée de la force dans des zones peuplées de civils.

Quel rôle pour les Turcs et les Kurdes ?

De leurs côtés, certains acteurs régionaux veulent également être de la partie post-EI. Ankara, qui a expressément été tenu à l’écart par Bagdad de l’offensive pour reprendre la capitale autoproclamée de l’EI, reste sur ses gardes. La Turquie "qui a, historiquement, toujours eu des visées sur la région de Mossoul, ne veut pas voir une autre puissance imposer sa domination sur ce territoire", rappelait récemment à France 24 Samim Akgönül, historien et politologue spécialiste de la Turquie à l'université de Strasbourg.

Autrefois, la capitale de la province de Ninive faisait partie de l'empire Ottoman, ce pourquoi Ankara considère que l’ancien "vilayet" de Mossoul fait partie de sa sphère d'influence. Pour l’instant les combattants sunnites d'Atheel al-Nujaifi, l’ancien gouverneur pro-turc de la ville, eux aussi empêchés de participer à la bataille, n’ont pas été autorisés à prendre position dans la ville.

Pour ajouter à la complexité de la situation, les Kurdes d'Irak, qui revendiquent eux aussi certains territoires qu’ils contrôlent dans la province septentrionale de Ninive, souhaitent être associés à la gestion de Mossoul, qui comptait une importante minorité kurde.

Enfin, le géant iranien, très influent chez son voisin irakien, surveille de près la situation via les milices chiites pro-iraniennes toujours postées dans la province de la plus grande ville sunnite d'Irak.