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Quand le leader du principal parti laic d’opposition a entamé une "marche pour la justice" reliant Ankara à Istanbul, personne ne s’attendait à ce que la marche, qui doit s’achever dimanche, mette le président Erdogan en difficulté.

Dans un pays, la Turquie, qui voit toute forme d’opposition politique muselée depuis des mois, un spectacle surprenant s’est déroulé ces dernières semaines.

Le 15 juin, Kemal Kilicdaroglu, leader du principal parti laïc d’opposition turc, le CHP (parti républicain du people), a lancé une marche de protestation de près de 450 km entre Ankara et Istanbul. Samedi, la marche est entrée dans le district d’Istanbul, Pendik, à quelques 20 km de la ville.

Brandissant une pancarte sur laquelle on peut lire "Aadalat" (Justice), il a pris la tête d’un cortège de milliers d’opposants à travers les plaines brûlantes d’Anatolie, dans une démonstration de résistance qui a été comparée à la célèbre "marche du sel" menée par Gandhi contre l’empire colonial britannique.

"Droits, loi et justice"

Pourtant, lorsqu’il a pris la tête du CHP en 2010, le terne et vieillissant Kilicdaroglu était vu comme un homme politique inefficace, une incarnation d’une opposition impuissante condamnée à regarder Erdogan rafler tous les pouvoirs. Mais l’ancien bureaucrate a pris les Turcs au dépourvu et semble avoir trouvé son crédo politique. Car à mesure qu’il avale les kilomètres qui le rapprochent d’Istanbul, le politicien de 68 ans a redonné vie à l’opposition, parvenant à étoffer ses rangs avec un cri de ralliement simple et efficace : "Droits, loi et justice".

Presque un an après le coup d’État manqué qui a permis au président Recep Tayyip Erdogan d’imposer un état d’urgence, les droits, la loi et la justice s’étiolent aujourd’hui en Turquie. Le président turc a promis une "purge" des institutions. Des centaines de milliers de personnes ont ainsi perdu leur emploi ou ont été jetées en prison. Et le 16 avril dernier, par référendum, le pays a approuvé de justesse un changement de Constitution qui acte l’élargissement sensible des prérogatives du chef de l’État

"Action efficace"

“Énormément de gens, moi y compris, ont vu Kilicdaroglu comme un leader inepte", reconnaît Howard Eissenstat, un expert de la Turquie à l'université de St. Lawrence, dans l’État de New York. "À tel point qu’il n’a pas été aisé de reconnaître qu’il semblait cette-fois-ci mener une action efficace", poursuit le chercheur.

À la veille de l’arrivée de la marche le dimanche 9 juillet, les enjeux se font en effet de plus en plus importants : “Erdogan prépare le premier anniversaire du coup d’État [manqué, le 14 juillet 2016]. Pour lui, c’est le moment décisif de sa présidence, qui lui a permis d’asseoir son autorité et sa légitimité. La 'marche de la justice' surgit à ce moment de célébration , ça en augmente l’impact", analys Howard Eissenstat.

Mobilisation sans précédent

La "marche pour la justice" a démarré au lendemain de la condamnation à 25 ans de prison d’Enis Berberoglu, homme de loi et journaliste. Ce membre du CHP est accusé d’avoir livré des informations confidentielles à la presse au sujet de l’appui des forces turques aux rebelles syriens. Cette condamnation a été "le déclencheur et non la cause" de la marche, estime Howard Eissenstat.

Et le referendum du 16 avril, très controversé, a joué un rôle important dans la mobilisation de l’opposition, montrant au CHP que "l’opposition traditionnelle et institutionnelle n’était plus une solution", ajoute l'expert.

Vu la mobilisation sans précédent à laquelle est parvenu le parti, les observateurs guettent désormais la riposte du président Erdogan.