logo

Paris, Rome et Berlin mettent en cause les ONG qui sauvent des migrants en Méditerranée

Dans un plan établi dimanche pour "endiguer le flux migratoire" en Europe, Paris, Rome et Berlin proposent la mise en place d’un code de conduite pour les ONG qui effectuent des sauvetages de migrants en Méditerranée.

Les ministres de l'Intérieur italien, français et allemand se sont retrouvés dimanche 2 juillet à Paris pour établir un plan de gestion du flux migratoire auquel est confronté l’Europe. Le premier point de ce texte concerne un projet de code de conduite pour les ONG qui effectuent des sauvetages de migrants en Méditerranée. Neuf organisations effectuent des sauvetages à l’aide d’une douzaine de bateaux.

Le texte, préparé par l'Italie, aura pour but "d'améliorer la coordination avec les ONG opérant en Méditerranée centrale". Pourtant, les organisations présentes en Méditerranée agissent déjà selon un code de conduite volontaire, rappelle Fabienne Lasalle, directrice adjointe de SOS Méditerranée France. "Nous travaillons avec le Centre de contrôle maritime (Maritime rescue coordination centre, MRCC) de Rome. C’est lui qui coordonne toutes les opérations de sauvetage. À aucun moment il nous prend de faire un sauvetage sans qu’il nous soit dicté par le MRCC. Il reçoit les appels de détresse et demande au bateau le plus proche d’intervenir. C’est aussi lui qui indique le port dans lequel on doit débarquer les migrants", explique-t-elle.

Le projet de code de conduite destiné aux ONG survient alors que celles-ci ont plusieurs fois été accusées de collusion avec les passeurs, notamment par le procureur de Catane, en Italie, le 23 avril dernier. Dans un entretien accordé au quotidien La Stampa, Carmelo Zuccaro avait assuré avoir "des preuves qu’il existe des contacts directs entre certaines ONG et des trafiquants d’êtres humains en Libye".

Des accusations insupportables pour Fabienne Lasalle : "Jamais nous n’avons eu aucun contact avec les passeurs […] Pour nous, il est hors de questions de rentrer en contact avec ces bandits. Nous pallions juste un manque de moyens. On a d’ailleurs entendu très peu de migrants qui avaient connaissance d’une quelconque existence des bateaux de sauvetage".

"Les ONG sont dans leur rôle"

Pour Pierre Barthelet, chercheur à l’Université Laval (Québec) et spécialiste des questions de sécurité européenne, "les ONG sont dans leur rôle" quand elles viennent au secours d’embarcations de migrants en Méditerranée.

Le chercheur estime que l’objectif des États européens pourrait être de chercher à améliorer la communication entre l’agence européenne de garde-frontières Frontex et les ONG présentes en Méditerranée. Mais il ne manque pas de rappeler que des canaux de communication existent déjà entre ces entités.

Fabienne Lasalle, elle, voit dans ce projet "une vraie volonté de discréditer les opérations des ONG" et dénonce une décision politique. "Derrière ce projet [de code de conduite], il y le fait que les États européens supportent mal notre présence, qui souligne l’insuffisance des moyens mis en place pour faire du sauvetage", accuse-t-elle.

Pierre Bathelet partage l’idée d’un projet motivé par des aspects politiques. Mais il y voit plutôt la nécessité des membres de l’Union européenne (UE) d’éviter à tout prix que l’Europe ne se retrouve de nouveau confrontée à une crise humanitaire majeure, telles que celles survenues en Italie en 2011 ou en Grèce en 2015.

"Les États de l'UE veulent accélérer l’expulsion des migrants illégaux. L’attitude du ministre français de l’Intérieur, Gérard Collomb, à Calais s’explique par ce plan d’action européen de fermeté destiné à éviter qu’il y ait des situations qui s’enkystent", assure-t-il.

Renforcer le pouvoir des garde-côtes libyens

Face à cette logique de realpolitik, les ONG maintiennent que la réduction des sauvetages en mer ne fera pas baisser le nombre de tentatives. Fabienne Lasalle rappelle à ce titre l’exemple de l’opération italienne Mare nostrum, souvent accusée d’avoir généré un "appel d’air" en Europe : "Lorsqu’elle a pris fin en novembre 2014, la courbe des traversés a continué à monter et à ce moment il n’y avait aucun bateau de sauvetage".

Dans un communiqué publié mardi 4 juillet en réaction à l’annonce de ce projet de code de conduite, SOS Méditerranée plaide la nécessité des opérations de sauvetage en Méditerranée. L’organisation critique également le soutien de l’Union européenne aux garde-côtes libyens.

"Comment l’Europe pourra-t-elle justifier aux yeux de ses contribuables et de ses citoyens l’allocation de ressources financières supplémentaires à un corps de garde-côtes armés dépendant d’un État sans structures dignes de ce nom, ne garantissant pas le respect des droits fondamentaux des personnes ?", s’interroge l’organisation.