Des groupes d’extrême droite européens ont récolté plusieurs milliers d’euros en lançant une cagnotte début mai pour financer des actions anti-migrants. Ils envisagent de saboter les opérations de sauvetage des ONG humanitaires en Méditerranée.
"Un acte de piraterie ignoble et inhumain ! Un scandale ! " a réagi, mardi 13 juin, Jean-Paul Hellequin, président de l’association Mor Glaz, qui défend les activités et l'écosystème maritimes, à la suite d’une action d’entrave menée par plusieurs groupuscules d’extrême droite européens contre l’Aquarius dans le port de Catane, en Sicile.
À la tombée de la nuit, le 12 mai, une poignée de militants xénophobes a tenté d’empêcher la sortie en mer du navire de sauvetage de SOS Méditerranée et de Médecins sans frontières, qui depuis 2 ans part en mer presque tous les jours pour porter secours aux migrants voyageant dans des embarcations précaires à destination de l’Europe.
Hier soir, 4 activistes tentent de gêner l'#Aquarius partant sauver des vies en mer. La @guardiacostiera intervient. #TogetherForRescue pic.twitter.com/S6QlJv1ZBb
— SOS MEDITERRANEE FR (@SOSMedFrance) 13 mai 2017Une opération soigneusement organisée par les antennes italiennes, allemandes, britanniques et françaises de Génération Identitaire, un mouvement d'extrême droite xénophobe, proche du Front national en France. Leur but ? Faire parler d’eux pour lancer une collecte de fonds qui servirait à "rassembler une équipe de professionnels, affréter un grand bateau et naviguer sur la mer Méditerranée pour contrecarrer les bateaux de ces contrebandiers humains" précise le site dédié à la campagne, baptisée Defend Europe.
Utilisant sans complexe le terme d'"invasion", ces militants extrémistes y expliquent qu’ils souhaitent "protéger nos pays de l’immigration illégale et si besoin tenir tête en mer aux bateaux des ONG tel que l’Aquarius [SOS méditerranée et Médecins sans Frontières]". Directement ciblées, les organisations d’aide aux migrants sont accusées par Defend Europe d’agir "à l’unisson avec les trafiquants humains".
"Mise en danger de la vie d’autrui"
En moins de trois semaines, la collecte des Identitaires a réuni plus de 64 000 euros, ce qui n'a pas manqué de faire réagir de nombreux citoyens. Boycott de PayPal, levée de fonds record pour les associations d’aide aux migrants… les initiatives se sont multipliées contre les actions anti-migrants de Génération Identitaire.
On est 7 millions en France à avoir un compte @PayPal.
Ça prend 30 secondes pour que ce ne soit plus le cas. #StopDefendEuropePaypal pic.twitter.com/KZW5TvPHRg
Pour Jean-Paul Hellequin, qui lutte contre le trafic d’être humains en mer à travers les actions de son association Mor Glaz, dans le Finistère, en Bretagne, "empêcher des gens de venir dans un pays où éventuellement ils pourraient être accueillis est bien plus odieux que de la piraterie". "C’est du banditisme !", s’emporte le marin, qui alerte fréquemment les autorités sur "le danger de voir racheter des navires-poubelle abandonnés en Bretagne par des trafiquants d’êtres humains". Fin connaisseur de la mer, il alerte aussi sur le risque que pourrait faire courir les militants de Génération Identitaire "s’il s’approchaient de trop près des embarcations fragiles des migrants".
L’entrave aux opérations de sauvetage en mer des associations humanitaires "mettrait en jeu la responsabilité pénale des auteurs de ce genre d’actions pour mise en danger de la vie d’autrui, que ce soit celle du personnel des ONG ou des migrants" explique également Eva Ottavy, responsable des solidarités internationales de l'association la Cimade. Elle reste toutefois dubitative sur la concrétisation des menaces formulées par Defend Europe.
Grâce à vos dons, nous allons pouvoir commencer notre opération de sauvetage. #StopImmigration #DefendEurope pic.twitter.com/3ITqGhjWaw
— Génération ID (@G_IDENTITAIRE) 2 juin 2017Defend Europe veut sauver les migrants... en les renvoyant en Afrique
À cela s’ajoute des soupçons de non-assistance à personne en danger, que les identitaires européens ont tenté de désamorcer en précisant sur leur site : "Si nous rencontrions des clandestins en détresse, nous leur viendrions bien évidemment en aide en les raccompagnant jusqu’aux côtes africaines". Impossible à mettre en œuvre, estime Eva Ottavy car l’entrée dans les eaux territoriales libyennes, égyptiennes ou tunisiennes doit être coordonnée et nécessite des autorisations spéciales. Ce genre d’opération ne laisse pas de place à l’improvisation ni à l’amateurisme. Et la Cimade de rappeler que des vies humaines sont en jeu : "S’ils décident que leur mission est de l’ordre du sauvetage, cela nécessite des bateaux spécifiques qui coûtent très chers avec un personnel formé aux secours. À titre d’exemple, une sortie en mer de l’Aquarius coûte 11 000 euros la journée aux ONG qui l’organisent. Le sauvetage en lui-même peut engendrer des risques. Lorsqu’ils ont été effectués par de simples navires commerciaux, il y a déjà eu de graves accidents" déplore-t-elle.
Sans compter que le renvoi des migrants en Libye, par où transite une grande partie d’entre eux, reviendrait à leur faire revivre les conditions de détention infernales (tortures, passages à tabac, malnutrition, racket) auxquelles ils ont échappées. Une violation des droits humains dénoncée ces derniers mois par Amnesty International et l'Unicef, qui ont alerté les pouvoirs publics sur l’enfer de ces camps libyens.
Bilan de la semaine dernière au large de la Libye: 10.000 migrants secourus, 58 morts, au moins 100 disparus https://t.co/UE4sgLDvif #AFP pic.twitter.com/W8P9exdFHm
— Fanny Carrier (@fannycarrier) 30 mai 2017De leurs côtés, SOS Méditerranée et Médecins sans frontières préfèrent ignorer et ne pas communiquer autour de l’initiative de Génération Identitaire et ses variantes européennes pour se concentrer sur leur mission de sauvetage des migrants, dont les arrivées se sont décuplées depuis fin mars. À tel point que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) faisait savoir fin mars que la situation en 2017 dépassait "tout ce que l’on a pu voir jusqu’à maintenant en Méditerranée". Depuis le début de l’année, selon le Haut-Comité aux réfugiés, plus de 75 000 personnes sont arrivées sur les côtes méditérranéennes et près de 1 843 sont mortes en mer.