Les monnaies dématérialisées alternatives au bitcoin connaissent une hausse sans précédent de leur valeur. À tel point que des investisseurs font la comparaison avec la bulle d'Internet.
Elles s’appellent éthereum, ripple, monero ou encore litecoin. Ces alternatives ou concurrentes au bitcoin sont encore moins connues du grand public que la mère de toutes les monnaies dématérialisées, mais elles viennent de vivre un printemps de tous les succès.
Entre début mars et mi-mai, la valeur sur les marchés d’échange des quelques 840 altcoins (les actifs numériques alternatifs au bitcoin) a progressé de près de 700 %. Leur capitalisation est passée de trois milliards de dollars à 23,5 milliards de dollars, a constaté le site coinmarketcap.
Le Japon reconnaît le bitcoin
Une envolée aussi brutale que spectaculaire qui a bouleversé l’ordre des choses au royaume des cryptomonnaies (autre dénomination des monnaies dématérialisées). Pour la première fois de sa jeune histoire (un peu moins de 10 ans d’âge), le bitcoin n’est plus le monarque absolu. Sa part de marché est passée d’environ 95 % à moins de 60 %.
L’engouement pour des actifs numériques comme l’omni ou le waves – dont les valeurs totales sont respectivement passées de 1,7 million de dollars à 38,6 millions de dollars et de 19 millions de dollars à 300 millions de dollars – ne s’est pas faite aux dépens du bon “vieux” bitcoin. “Il va très bien : sa capitalisation a été multipliée par six en un an”, souligne Jacob Eliosoff, le gérant d’un fonds d’investissement américain spécialisé dans les cryptomonnaies, contacté par France 24.
La ruée vers l’or numérique profite à tous. Le coup d’envoi à cette frénésie aurait été la “décision japonaise de reconnaître le bitcoin comme un moyen de paiement légal [2 avril 2017]”, soutient Alfonso Lopez de Castro, directeur de la Financia business school et spécialiste du bitcoin, contacté par France 24. L’intérêt pour les monnaies dématérialisées s’est alors décuplé. “Le succès du bitcoin a fait celui des altcoins car les investisseurs ont décidé de répartir les risques en diversifiant leur portefeuille”, résume cet expert.
Selon le précepte qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs, numériques ou non, dans le même panier, les investisseurs ont commencé à s’intéresser à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à du bitcoin. Des opportunistes ont sauté sur cette occasion pour fabriquer des “pièces” (appelé jetons) d’altcoins en espérant qu’elles gagneraient de la valeur.
Ces monnaies se battent d’une manière particulière. La plupart des cryptomonnaies se “minent” (fabriquent) en résolvant des calculs mathématiques de plus en plus complexes, nécessitant d’y allouer une puissance informatique toujours plus importante. Fabriquer des nouveaux bitcoins n’est plus à la portée du premier venu. “Il faut au moins 20 000 euros de matériel informatique et compter un supplément de 50 000 euros par an en électricité“, détaille Alfonso Lopez de Castro. Les nouveaux "mineurs" ont privilégié des alternatives plus accessibles comme l’éthereum ou le zcash.
35 millions de dollars en moins de 30 secondes
Mais la décision japonaise n’explique pas tout. “Il y a un faisceau de facteurs à l’œuvre”, estime Edwige Morency, directeur d’Eureka, un organisme de formation et de conseil spécialisé dans les cryptomonnaies, contacté par France 24. Il cite, pêle-mêle, l’arrivée de fonds d’investissement prêts à parier des sommes beaucoup plus importantes qui font grimper les cours, des évolutions de la technologie bitcoin ou encore des spéculateurs ayant raté la première vague d’engouement pour le bitcoin.
En parallèle, un autre phénomène qui participe à la hausse des prix est en train de prendre de l’ampleur : celui des ICO (Initial Coin Offering). "Il s’agit souvent de start-up qui lèvent des fonds en lançant des altcoins ou en se servant de celles qui existent déjà”, explique l’investisseur américain Jacob Eliosoff. C'est, schématiquement, un modèle de financement participatif dans l'univers des altcoins. Au lieu d'aller frapper à la traditionnelle porte des capital-risqueurs ou business angels, les porteurs de projets demandent aux internautes de les financer en échange d'une participation à un altcoin. Le milliardaire américain Tim Draper est devenu, le 15 mai, le premier investisseur de renommée internationale à annoncer qu’il allait participer à l’une de ses ICO. Sa décision a offert une publicité inédite à ce moyen alternatif de réunir des fonds. Brendan Eich, l’ex-patron de Mozilla (le créateur du navigateur Firefox), a réussi à lever 35 millions de dollars en moins de 30 secondes pour sa nouvelle start-up, le 1er juin.
Bulle toujours, tu m'intéresses
Des investisseurs qui se jettent sur le moindre altcoin, une multiplication des nouveaux projets, des valorisations qui crèvent le plafond : l’effervescence du secteur n’est pas sans rappeler celui d'Internet au tournant du XXIe siècle. L'explosion financière des altcoins est sans commune mesure avec la progression – tout à fait réelle – de leurs usages. “Le parallèle avec la bulle Internet des années 2000 est indéniable”, reconnaît Jacob Eliosoff.
Comme les start-up qui vendaient alors du vent en comptant sur la soif des investisseurs pour tout ce qui se terminait par .com, “c’est un peu du grand n’importe quoi pour un certain nombre d’actifs numériques alternatifs au bitcoin”, reconnaît Edwige Morency. Entre les arnaques pures et simples et les monnaies qui n’apportent, technologiquement, rien de plus, Jacob Eliosoff juge qu’il y a “beaucoup trop d’altcoins, et seules cinq ou dix d’entre elles sont sérieuses”.
Le reste risque de faire les frais, d’après Edwige Morency, d’une “sélection darwinienne” lorsque la fièvre spéculative retombera. “Toute la question est de savoir quand la bulle va éclater”, soutient Jacob Eliosoff. Les plus optimistes, comme Tim Draper, assurent que le bitcoin peut grimper jusqu’à 10 000 dollars (contre 2 850 actuellement), laissant encore le temps aux spéculateurs de faire grossir la bulle des altcoins.
D’autres sont plus prudents. “Il commence à y avoir des prises de bénéfices importantes”, a constaté Alfonso Lopez de Castro, le directeur de la Financia business school. Des investisseurs jugent que l’engouement pour les altcoins a atteint son zénith et qu’il vaut mieux empocher les bénéfices avant que la tendance ne s’inverse.