
Agent de la CIA, amis des narcos colombiens, dictateur impitoyable à la tête du Panama de 1983 à 1989, l'ex-général Manuel Noriega, qui est décédé dans la nuit de lundi à mardi à l'âge de 83 ans, a eu une vie marquée du sceau de la violence.
L'ancien dictateur panaméen Manuel Noriega, un ancien agent de la CIA devenu ennemi juré des États-Unis, est mort, dans la nuit du 29 au 30 mai, à l'hôpital public Santo Tomas de Panama City.
Opéré d'une tumeur bénigne au cerveau en mars dernier, le sulfureux Manuel Antonio Noriega, 83 ans, avait sombré dans le coma à la suite d'une grave hémorragie. Sa famille avait demandé à plusieurs reprises, en vain, une assignation à résidence permanente pour l’ancien général qui a eu plusieurs hémorragies cérébrales, des complications pulmonaires, un cancer de la prostate et a souffert de dépression.
Formé à l’École des Amériques et recruté par la CIA
Surnommé "Cara de piña" (face d'ananas) par les Panaméens, en raison de son visage grêlé, Manuel Noriega a dirigé d’une main de fer son pays de 1983 à 1989, avec l’appui des États-Unis, qui finiront par lâcher son régime après la chute du mur de Berlin.
Né dans la misère à Panama City en 1934, il perd sa mère très jeune, et son père l'abandonne à l'âge de 5 ans. Pour s'en sortir, il décide d’épouser la carrière militaire. Formé, au Pérou, au sein de "l’École des Amériques", centre de formation américain de militaires anti-communistes, en pleine guerre froide, il est repéré puis recruté par la CIA.
De retour au Panama, il participe au coup d’État de 1968 contre le président Arnulfo Arias aux cotés du général Omar Torrijos. Placé à la tête des services de renseignement qui sèment la terreur parmi les opposants, puis à la tête de l'armée panaméenne, il devient l’homme le plus influent et le plus craint du pays.
À la fin des années 70, il devient indispensable pour les États-Unis, qui combattent les régimes communistes à Cuba et au Nicaragua. Sauf qu’en sous-main, Manuel Noriega, qui ne sera jamais élu président, amasse une fortune en cultivant des liens avec le puissant cartel colombien de Medellin de Pablo Escobar, le roi de la cocaïne qui inonde les États-Unis dans les années 1980.
Il devient également un agent double au service de Fidel Castro, un autre ennemi juré de l’administration américaine. Il est notamment suspecté d’avoir vendu des milliers de passeports panaméens aux services de renseignement cubains.
"Juste Cause"
Commandant en chef des forces armées d’un Panama dirigé par des présidents fantoches, il fait de son pays une plaque tournante du trafic de drogue, du blanchiment d’argent, et un eldorado pour les narcotrafiquants traqués par l’administration américaine. Son destin bascule après la chute du mur de Berlin. Utile pendant la guerre froide, Manuel Noriega devient encombrant, voire gênant au vu des basses œuvres accomplies pour le compte des États-Unis, qui décident de lui régler son sort.
"Les menaces imprudentes du général Noriega contre les Américains au Panama ont créé un danger immédiat pour les 35 000 citoyens américains sur place. C'est pourquoi j'ai chargé nos forces armées de protéger la vie des citoyens américains au Panama et de traduire le général Noriega en justice aux États-Unis", déclare le président George Bush, le 20 décembre 1989. Ironie de l’histoire, quelques années auparavant, le dictateur panaméen avait conclu plusieurs accords avec la CIA, alors dirigé par le même George Bush, contre des centaines de milliers de dollars.
L’opération "Juste Cause" est alors lancée contre Manuel Noriega, qui vient de s’autoproclamer "Maximum leader " et multiplie les discours anti-américains. Traqué, isolé et lâché par ses proches, il se réfugie dans la résidence du nonce apostolique, alors que les soldats américains se déploient en masse dans le pays. Pour forcer cet amateur de musique classique à se rendre, les Américains iront jusqu’à diffuser du hard rock et du heavy metal en continu par haut-parleurs. L'ecclésiaste, probablement à bout, persuadera Noriega de jeter l’éponge. Il quitte son refuge le 3 janvier 1990, une Bible en main. Une nouvelle vie commence alors pour le dictateur, faite d’extraditions, de jugements et de longues peines de réclusion.
Condamné aux États-Unis, en France et au Panama
Exfiltré aux États-Unis après son arrestation, il est condamné en 1992 à 40 ans de prison par un tribunal de Miami (Floride) pour ses liens avec les cartels colombiens. Une peine ramenée par la suite à 30 ans et achevée en septembre 2007. Il sera ensuite extradé en 2010 en France – pays qui lui avait pourtant remis la Légion d'honneur en 1987 au titre des "relations diplomatiques" avec le Panama.
La justice française, qui l’a condamné une première fois par contumace en 1999, le soupçonnait d’avoir acquis, avec de l'argent sale, trois logements de luxe à Paris, situés quai d'Orsay, quai de Grenelle et rue de l'Université. Lui soutenait que ces fonds provenaient de l'héritage de son frère, de la fortune de sa femme et des versements de la CIA. Il sera finalement condamné à sept ans de prison pour blanchiment d'argent issu du trafic de drogue.
Mais en 2011, il est extradé de Paris vers le Panama pour y purger trois peines de 20 ans de prison pour sa responsabilité dans des disparitions d'opposants, ce qu'il a toujours nié, affirmant qu’il était victime d’une conspiration orchestrée par Washington.
Avec AFP et Reuters