Après les errances narratives de "Prometheus", le réalisateur du tout premier "Alien" lui signe une suite à la beauté dérangeante. Le Néomorphe, nouvelle génération de monstre – et nouveau rouage de la mythologie "Alien" –, n’y est pas pour rien.
*** ATTENTION SPOILERS ***
On ne va pas se mentir : l’héroïne d’"Alien: Covenant" n’est pas Katherine Waterston, timide héritière de Sigourney Weaver, qui, si elle ne crève pas l’écran, parvient tout de même à gagner notre bienveillance dès le début du film pour ce qu’elle est forcée d’endurer. Ce n’est pas non plus le monstre agressif à l'"organisme parfait", qu’il s’agisse de lui dans sa version nouveau-né ou Xénomorphe, évolution ultime de la créature. Non, la star de ce nouvel opus signé Ridley Scott, c’est bien Walter (ou David, selon l’année du modèle), androïde impassible conçu pour assister l’équipage tout au long de sa mission.
Malgré tout, si l’Alien n’est plus au centre de tout, il reste bel et bien un objet de fascination pour le public dans "Covenant", apparaissant sous ses multiples formes consacrées et sous un aspect inédit, imaginé par Ridley Scott lui-même : le Néomorphe, qui rejoint donc en cette année 2017 la liste des extraterrestres de la franchise.
"Je ne voulais surtout pas l’user, mais le réinventer"
À mi-chemin entre le Xénomorphe original du premier opus et un requin lutin (une espère rare de squale qui vit dans les profondeurs océaniques du globe et qui possède, d’ailleurs, une mâchoire rétractable), d’après les confessions du réalisateur, il est peut-être, plus que le Xénomorphe ou la Reine eux-mêmes, le plus dérangeant des spécimens de toute la saga. Est-ce car sa peau rosée et translucide est plus proche de celle d’un humain que celle d’un endoparasite extraterrestre ? Ou parce qu’on peut lui trouver une étrange proximité avec une figure capable de peupler nos pires cauchemars, au sens onirique du terme ? Sans doute.
"Concevoir le Néomorphe a été très difficile. C’était une étape essentielle parce qu’il fallait apporter quelque chose de neuf par rapport à ce que l’on connaissait déjà. Je ne voulais surtout pas l’user, mais le réinventer", explique Ridley Scott. "Le Néomorphe est dans un sens la première génération d’aliens, mais il a besoin d’un corps humain pour se développer, ou si vous préférez, pour se mélanger, s’accoupler." Ridley Scott réalisera ainsi quelques croquis, que Conor O’Sullivan, le superviseur de la conception du monstre, développera par la suite avec Charles Henley, le directeur des effets visuels du film, et son équipe.
Cette nouvelle "recrue", qui témoigne de la propension toujours vivace de la firme à faire évoluer sa créature à travers les films, se dessine comme une aïeule à l’Alien du "Huitième passager", œuvre fondatrice de 1979 et second long-métrage de Ridley Scott. Pour rappel, c’est un dessin de Hans Ruedi Giger, plasticien, graphiste et illustrateur suisse, repéré par Hollywood pour travailler sur "Dune" d’Alejandro Jodorowsky, qui va inspirer dès 1977 la créature et le vaisseau étranger du premier volet. De son côté, l’Italien Carlo Rambaldi, créateur d’effets spéciaux, donnera vie à l’entité.
Dans "Covenant", rares sont toutefois les informations précises que l’on obtient sur le Néomorphe. Un mystère qui n’est pas sans rappeler celui qui plane autour de l’Alien du "Huitième passager", ombre furtive et humide rarement filmée en plan serré – même si lors du tournage en 1978, il s’agissait avant tout pour Scott de cacher les détails un peu grossiers d’un costume dans lequel évoluait un acteur. Dans ce nouvel opus, si l’apparence du Néomorphe nous apparaît plutôt nettement malgré les nombreux clairs-obscurs, particulièrement lorsqu’il en est au stade de simple Chestburster (littéralement, "l’exploseur de poitrine"), il reste difficile de comprendre son fonctionnement, et, plus précisément, sa place dans l’évolution de l’espèce. Est-il vraiment une forme plus primitive du Xénomorphe ? En quoi s’en distingue-t-il exactement ? Par exemple – même s’il ne s’agit là que d’une observation de notre part –, il semble se "nourrir" de ses victimes (on le voit s’attarder notamment dans une scène sur un corps, et se relever la bouche pleine de sang), contrairement au Xénomorphe, qui tue par pur instinct et sans but précis… Quand il ne laisse pas les humains en vie pour les transformer en cocon. Pourquoi ?
À l’instar de David, figure paternelle de l'espèce, Ridley Scott se réapproprie sa créature en en proposant une déclinaison
Ce "grand flou", c’est justement ce qui a pu frustrer Joe Hume, journaliste pour le magazine Rockyrama, qui sort mercredi 10 mai un numéro consacré à l’immense carrière de Ridley Scott : "Cet élément nébuleux est à mon sens le problème du film. À quoi a-t-on affaire exactement ? À une ébauche de Xénomorphe ? C’est trop peu expliqué à mon sens, même si Scott compte peut-être y revenir plus tard, puisqu’on sait maintenant qu’une suite est prévue."
Créer pour mieux régner
Et si, pour pousser l’analyse un peu plus loin, le Néomorphe avait été créé par le réalisateur pour réapposer son sceau sur la firme ? "À l’instar de David, figure paternelle de l'espèce, Ridley Scott se réapproprie sa créature en en proposant une déclinaison. On peut presque se dire que grâce à elle, il récupère son bien et en fait ce qu’il veut", observe Joe Hume. N’oublions pas que Ridley Scott n’aura réalisé que le premier volet de la saga ; après lui, James Cameron fera de son Alien solitaire et prédateur des Aliens au pluriel, sortes d’insectes intergalactiques à l’organisation militaire et dont la priorité est de protéger leur progéniture. David Fincher et Jean-Pierre Jeunet prendront également sa suite pour les troisième et quatrième volets avant qu’il ne revienne enfin, en 2012, avec sa vision de la genèse de l’histoire.
À bientôt 80 ans, M. Scott nous fait donc passer un message dans "Covenant" : il compte aller bien plus loin que les vaisseaux Nostromo, Prometheus et Covenant ne l'ont jamais été. Dans les contrées encore inexplorées – pour ne pas dire inexploitées – d'"Alien".
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