Soupçonné de préparer un attentat, le soldat allemand pro-nazi Franco A., qui s'est fait passer pour un réfugié syrien, est devenu la pièce centrale d’une crise politique qui ébranle l’armée et met à mal l’une des stars du cabinet Merkel.
Le cas Franco A. ébranle depuis plusieurs jours l’armée allemande et déstabilise Ursula Von der Leyen, ministre de la Défense, souvent présentée comme une possible nouvelle Angela Merkel. L’affaire, étrange de bout en bout, a réveillé en Allemagne le vieux démon du racisme chez les militaires, sur fond de crise des réfugiés.
Soupçonné de préparer un attentat, le soldat Franco A. est arrêté le 27 avril. Le parquet évoque alors la xénophobie du suspect, sans préciser quels étaient ses plans. Très vite, l’affaire prend un premier tournant étonnant lorsque les médias revèlent que le militaire se faisait passer depuis deux ans… pour un réfugié syrien, probablement pour faire porter le chapeau de son futur attentat aux migrants.
Un faux réfugié syrien qui ne parle pas l’arabe
Comment un militiare allemand a-t-il pu se faire passer pour un réfugié syrien ? Franco A. a pu sans difficulté s’inscrire sous un faux nom en 2015 sur la liste des demandeurs d’asile et a obtenu une place dans un centre d’accueil en Bavière (sud de l’Allemagne), alors même qu’il avait reconnu ne pas parler l’arabe. "À l’époque, il y avait parfois plus de 10 000 migrants par jour qui arrivaient en Allemagne, ce qui rendait très difficile de vérifier en détails chaque cas", rappelle le quotidien Die Welt. Les autorités avaient même mis en place, à partir de fin 2014, une procédure simplifiée pour les ressortissants syriens. Franco A. a ainsi probablement dû remplir un simple formulaire, sans même avoir à expliquer de vive voix les raisons de sa demande d’asile.
Ce récit de la double vie du militaire n’a pas manqué de susciter des critiques contre les lacunes des procédures de contrôle des réfugiés. Franco A. a non seulement pu déposer avec succès une demande d’asile politique, mais il a aussi gardé sa place dans le foyer d’accueil pendant deux ans alors qu’il ne s’y rendait que très rarement.
Mais cette question passe rapidement au second plan après un coup de théâtre... venu de France. Un général de l’académie militaire de Saint-Cyr avait alerté les autorités allemandes, dès janvier 2014, sur l’idéologie raciste et les tendances complotistes de Franco A, revèle l’hebdomadaire Spiegel, le 30 avril. Le soldat allemand, en formation dans la prestigieuse institution, avait rendu un mémoire de 140 pages dans lequel il dénonçait le risque de "génocide" de la civilisation occidentale. Franco A. affirmait au fil des pages que les populations locales dans de nombreuses villes européennes avaient été "déplacées" au profit de réfugiés musulmans.
"S’il avait été en formation pour intégrer l’armée française, il aurait été renvoyé sur-le-champ", a même précisé le militaire français à ses interlocuteurs allemands. Rien de tel ne s’est produit de l’autre côté du Rhin. Franco A. a simplement été convoqué à un entretien de recadrage et a pu continuer sa carrière sans encombre.
Colère des soldats
Les révélations sur ce laisser-faire choquent les Allemands qui ont gardé une certaine méfiance à l’égard de l’institution militaire. Surtout que Franco A. ne dissimulait pas ses penchants extrémistes : il gardait dans sa chambre de caserne une arme qui avait été décorée d’une croix-gammée, un poster de soldats du IIIe Reich et d’autres documents à la gloire des nazis, ont découvert les enquêteurs.
Ce soupçon de complaisance fait aussi resurgir le spectre d’une institution militaire noyautée par les extrémistes. Le ministère de la Défense a tenté de désamorcer cette bombe politique en se montrant le plus transparent possible : il a indiqué que le service du renseignement militaire enquête actuellement sur 275 soldats soupçonnés de sympathies pour des thèses proches de celle du IIIe Reich.
La ministre allemande de la Défense, Ursula Von der Leyen, a aussi tenté de mettre cette affaire sur le compte d’une "culture de la camaraderie mal placée" au sein de l’armée. Une justification très mal vécue par les soldats allemands, qui se sentent jetés en pâture par leur ministre de tutelle. "Ils lui reprochent avant tout de tenter de rejeter la faute sur eux pour éviter que l’affaire ne remonte jusqu’au ministère", explique le journal Spiegel.
La colère des soldats pourrait "coûter son poste" à la ministre, jugent les médias allemands. Consciente du risque, elle a décidé d’annuler un déplacement prévu aux États-Unis pour se rendre dans la caserne où Franco A. était en poste. Même Angela Merkel a ressenti le besoin d’intervenir pour apporter son "soutien total" à Ursula Von der Leyen. Lorsque la chef de gouvernement est obligée d’exprimer publiquement son soutien à un ministre, c’est qu’il y a vraiment péril en la demeure.