
Selon les sondages, Jean-Luc Mélenchon serait aux portes du deuxième tour de la présidentielle. Les militants de la France insoumise, eux , vont dans les quartiers populaires à la rencontre des abstentionnistes. Reportage à Lille et Roubaix.
Les militants de Jean-Luc Mélenchon viennent à peine de poser leur "caravane insoumise" sur la place Pierre-Degeyter de Lille qu’un jeune héroïnomane, le bras meurtri de piqûres de seringue, vient les interpeller. Il tremble. Il est en manque. Et il lui faut encore six euros pour se payer une nouvelle dose. Voilà le décor posé.
Dans cette dernière ligne droite de la campagne présidentielle, "La France insoumise" a lancé à travers le pays huit caravanes pour aller à la rencontre des Français des quartiers populaires. À Lille, ce mercredi 12 avril, la caravane qui parcourt le nord de la France s’est installée à Fives, un ancien quartier industriel de près de 20 000 habitants, où le taux de chômage a explosé depuis que plusieurs usines ont fermé dans les années 1990. Malgré tout, le quartier reste vivant. Autour de la place où les militants pro-Mélenchon se sont installés, juste en face de l’antenne de la mairie, il y a des commerces, des cafés, un bureau de poste, beaucoup de passage, tout au long de la journée. Mais la nature de ces commerces a changé : les boulangeries, boucheries, poissonneries et crémeries ont progressivement été remplacées par des kebabs ou des boutiques de téléphonie.
"Les habitants de Fives ont le sentiment que leur quartier se détériore petit à petit, et que la mairie ne fait rien pour arranger les choses. Et ce n’est pas la présidentielle qui va changer quoi que ce soit. Ce sont tous les mêmes", déplore Jacques, 62 ans, un habitant du quartier.
"Les citoyens semblent avoir découvert Jean-Luc Mélenchon"
Que ce soit dans des grandes villes, comme Lille, ou dans des communes rurales, les militants de La France insoumise entendent régulièrement ce discours du "tous pourris" chez des citoyens ayant le sentiment d’être laissés à l’abandon. Mais selon eux, l’évocation du nom de Jean-Luc Mélenchon suscite de plus en plus de réactions positives.
"Par rapport aux rencontres sur le terrain qu’on faisait il y a deux, trois mois, on sent vraiment la différence", souligne Arnaud, 45 ans, un "Insoumis" de Villeneuve d’Ascq, ayant pris des congés pour militer durant les deux dernières semaines de la campagne. "Depuis la grande marche du 18 mars pour la VIe République et les deux débats télévisés, il y a un changement complet d’attitude des citoyens qui semblent avoir découvert Jean-Luc Mélenchon. Il y a un a priori beaucoup plus favorable et, par conséquent, les gens font davantage attention à ce que nous expliquons."
Parfois, les militants eux-mêmes sont surpris par l’accueil qui leur est réservé. Alors que Jean-Luc Mélenchon tient un meeting dans la soirée au Palais des Congrès de Lille, les habitants de Fives rencontrés dans la journée sont relativement nombreux à affirmer qu’ils soutiennent le candidat de La France insoumise. "C’est presque trop facile. On aurait peut-être dû aller ailleurs, car ici on prêche des convaincus", s’étonne un militant, tout heureux de constater que la dynamique qui porte son candidat haut dans les sondages se confirme sur le terrain.
Porte-à-porte à Roubaix dans l’un des quartiers les plus sensibles de France
Ambiance différente le lendemain à Roubaix. Pour cette nouvelle étape de son parcours dans le nord de la France, la "caravane insoumise" a choisi de s’arrêter dans le quartier de l’Alma. Avec les trois-quarts de son territoire placés en Zone urbaine sensible (ZUS), plus de 30 % de chômeurs et un taux de pauvreté qui dépasse les 40 %, Roubaix, 96 000 habitants dont une bonne partie est issue de l'immigration, est considérée comme l’une des villes les plus pauvres du pays. La situation est encore pire à l’Alma, réputée pour être l’une des zones les plus sinistrées du pays et d’où était notamment originaire le fameux "Gang de Roubaix", une bande de terroristes islamistes proche d'Al-Qaïda connue pour avoir financé le jihadisme grâce à de nombreux vols à main armée au milieu des années 1990.
"Je tenais vraiment à venir dans ce quartier, car plus aucun politique n’y met les pieds", affirme Paul Zilmia, 25 ans, candidat de La France insoumise dans cette 8e circonscription du Nord aux prochaines élections législatives (11 et 18 juin), présent ce jeudi 13 avril au côté des militants de la "caravane insoumise". "J’ai grandi juste à côté, il faut montrer à ces habitants qu’il est possible de s'en sortir et que le programme que nous portons est fait pour eux", insiste-t-il.
Contrairement à Lille-Fives, les commerces sont inexistants dans ce quartier de Roubaix. Peu d’habitants de l'Alma sortent de chez eux. Il faut donc aller à leur rencontre en faisant du porte-à-porte. L’exercice est ingrat, requiert de la volonté et de fortes convictions, car, le plus souvent, les portes restent closes. Et lorsque celles-ci s’ouvrent, les militants de La France insoumise savent qu’ils sont face à un public qui ne croit plus à la politique depuis longtemps. À l’Alma, l’abstention bat des records : lors des dernières élections régionales en décembre 2015, près de 80 % des habitants du quartier ont préféré rester à la maison.
"Il se passe clairement quelque chose"
Pour convaincre les abstentionnistes, diplomatie, force de persuasion et arguments solides sont indispensables, expliquent les militants "insoumis". Alors que Paul Zilmia et Yann Merlevede, candidat aux législatives dans la 7e circonscription du Nord, vont d’immeuble en immeuble, rue Stéphenson, ils sont interpellés par un homme. Ecœuré par les politiques de tous bords, citant à plusieurs reprises les affaires ayant rythmé la campagne, cet habitant jure qu’il n’ira pas voter. Après l’avoir écouté sans l’interrompre, Yann Merlevede met en avant une proposition du candidat de La France insoumise : "Vous en avez marre des politiques qui mentent ou qui ne respectent pas leur parole ? Jean-Luc Mélenchon propose justement de mettre en place le droit de révoquer les élus en cours de mandat."
La mesure semble plaire à l'homme qui accepte de prendre le tract qu’on lui tend. "Vous avez vu beaucoup d’autres militants ici, à part nous ?", lui demande Paul Zilmia. "Non… Bon, j’ai entendu Mélenchon lors des débats, j’aime bien ce qu’il dit. Vous avez gagné une voix", finit par lâcher cet habitant de l’Alma.
Tous les habitants rencontrés à l’Alma ne se laissent pas convaincre aussi facilement. Et très peu de personnes sont descendues de chez elles pour aller jusqu’à la caravane, tester le simulateur de droits sociaux. Mais contrairement aux autres candidats, le nom de Jean-Luc Mélenchon ne provoque pas de dégoût ou de réprobation, assurent ses partisans.
"Jusqu’à très récemment, tous ces gens ne voulaient pas nous parler, se souvient Paul Zilmia. Mais depuis que les sondages montrent qu’il peut accéder au deuxième tour, on le voit notamment dans des zones un peu moins difficiles de Roubaix, le regard des gens sur Jean-Luc Mélenchon a changé. Ils le prennent au sérieux. Il se passe clairement quelque chose."