
La ministre de l’Environnement Ségolène Royal s’est réjouie de l’adoption du décret sur l’arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim. Mais les détracteurs dénoncent un texte "inutile".
C’était censé être le décret de la parole politique tenue, il est en train de se transformer en celui de la discorde. La ministre de l’Environnement Ségolène Royal a célébré sur Twitter, dimanche 10 avril, la signature de l’acte abrogeant “l’autorisation d’exploitation” de la centrale de Fessenheim. “C’est dit, c’est fait”, a-t-elle écrit pour souligner qu’à deux semaines de la fin du quinquennat, l’une des principales promesses de campagne de François Hollande avait finalement été tenue.
Mais ces quelques mots ont déclenché un torrent de protestations. Ségolène Royal a réussi l’exploit de mettre d’accord les syndicats d’EDF, qui craignent pour l’emploi, et les opposants au nucléaire. Ils ont tous dénoncé un “enfumage”, “une ultime provocation” ou encore une “opération de communication".
En 2019 ou à la Saint glinglin ?
Le décret serait “inutile”, pour les plus tendres, comme la CGT de Fessenheim. Il marquerait carrément “la soumission de l’État à la politique énergétique d’EDF”, pour les plus virulents tel Cyrille Cormier, chargé des questions énergétiques pour l’association écologique Greenpeace, interrogé par France 24.
Selon eux, EDF pourrait ignorer superbement le texte adopté. Le décret pose une série de conditions à la fermeture du site qui laisse au groupe, détenu à 83,1 % par l’État, une large marge de manœuvre. Il stipule ainsi que la plus vieille centrale en activité de France sera mise à l’arrêt lorsque le nouvel EPR (réacteur de nouvelle génération) de Flamanville entrera en service. Le site de Flamanville est censé être achevé en 2019. La centrale de Fessenheim ne cessera pas sa production d’électricité avant que François Hollande quitte l’Élysée.
Les plus pessimistes craignent surtout que ce décret ne permette à EDF de repousser la fermeture du site alsacien à la Saint-Glinglin. “Hier encore, c’était 2018, aujourd’hui c’est 2019, mais EDF a déjà obtenu de l’État le droit de prolonger le chantier de Flamanville jusqu’en 2020”, souligne Cyrille Cormier, qui rappelle que l’histoire de l’EPR a déjà connu son lot de retards à répétition.
Légalité douteuse
Autre condition : la fermeture de Fessenheim doit être “nécessaire pour assurer le maintien du plafond fixé par la loi [de transition énergétique]”, c’est-à-dire que la capacité nucléaire du pays soit de 63,2 gigawatts au maximum. En clair, si d’autres réacteurs sont, le moment venu, à l’arrêt (maintenance, réparation, rénovation, etc.) - faisant passer la capacité nucléaire sous le plafond - EDF peut arguer qu’il n’y a pas de “nécessité” de couper le courant à Fessenheim.
Au-delà des problèmes posés par les conditions à la fermeture, certains contestent la légalité même du décret. La loi sur la transition énergétique prévoit que l’État ne peut publier le décret d’abrogation de l’autorisation d’exploitation de Fessenheim que sur demande d’EDF. Ségolène Royal a estimé que la décision du conseil d’administration du groupe français, qui a accepté in extremis, le 6 mars, le principe de la fin de Fessenheim, valait demande officielle. Mais lors de cette réunion, EDF a stipulé qu’il ferait une demande écrite six mois avant le démarrage de Flamanville. Cyrille Cormier estime ainsi que la ministre de l’Environnement a mis le décret avant les bœufs et qu’EDF aurait beau jeu de dire qu’il n’est pas tenu par un décret illégal.
Mais pour ce fervent opposant au nucléaire, il y a pire encore. Le décret reprend purement et simplement ce qui a été demandé par le groupe français - les conditions, les délais - lors de son conseil d’administration. “Ce décret illustre que c’est EDF qui a la mainmise sur la politique énergétique en France et pas l’État”, tranche Cyrille Cormier.
Contacté à plusieurs reprises par France 24, le ministère de l’Environnement n’a pas répondu.