
Retrouvez sur InfoMigrants le parcours de deux jeunes réfugiés syriens qui, après avoir traversé l'enfer, tentent de se reconstruire en France. Pour Hassan, hors de question de retourner en Syrie tant il apprécie sa nouvelle vie parisienne.
“Sur la route, tout le monde essaye de profiter de nous : la police, les passeurs, les citoyens… Les migrants sont des victimes faciles”, racontent Hassan et Molham, deux Syriens de 23 ans originaires d’Alep sur InfoMigrants. Les deux copains, qui se connaissent depuis neuf ans, ont mis plus d’un mois pour traverser l’Europe et atteindre la France. Leur périple était long et fastidieux mais ces jeunes en parlent aujourd’hui sans peine.
C’est après une longue discussion sur leur avenir en Syrie, en proie à la guerre civile depuis 2011, qu’Hassan et Molham décident de fuir le pays le 10 août 2015, avec pour seul bagage un simple sac à dos. Chez eux, ils s’étaient retrouvés acculés face à deux choix : être enrôlés de force dans l’armée ou déserter et rejoindre la rébellion. Dans les deux cas, la mort n’est jamais très loin. Alors, ils se décident et partent, direction le Liban à bord d’un bus, puis la Turquie en avion. Là, les choses se compliquent très vite. Il leur faut trouver un groupe de migrants qui les conduiraient jusqu’à une embarcation. Dix jours seront nécessaires pour les contacter.
Sans argent on ne peut aller bien loin
Très vite, les deux copains d’enfance comprennent que sans argent, ils n’iront pas bien loin. Pour gagner la première étape, la Grèce, ils doivent payer un passeur 1 200 dollars chacun. “Nous n’avions pas assez d’argent sur nous. Heureusement ma tante qui vit en France nous envoyait de l’argent via Western Union”, précise Hassan. Le trajet dure à peine deux heures mais n’en est pas moins dangereux : le bateau pneumatique qui les transporte peut contenir 30 personnes, or ce jour-là ils sont plus de 50 à tenter la traversée.
Arrivés sains et saufs de l’autre côté de la mer, les deux amis passent trois jours en Grèce dont deux à dormir dans la rue. Un détail qui les a marqués, tant ils y reviennent souvent dans leur récit. Ils reprennent rapidement un bus à destination de la Macédoine puis un train vers la Serbie. Après avoir marché une journée entière, ils réussissent à monter dans un camion qui les emmène à Belgrade, non sans payer, comme à chaque fois sur la route de l’exil. “Tout le monde nous demande de l’argent. Des passeurs, la police mais aussi de simples citoyens pour qui l’aide n’a jamais été un acte gratuit”, soufflent les deux amis.
Hassan et Molham se rendent dans un village tout près de la frontière serbo-hongroise. Là, ils décident de “reprendre des forces” dans un camp de migrants. “Nous sommes restés deux jours sur place : on a fait le plein, sourit Molham. Là-bas, on a pu manger, dormir, recharger nos téléphones…”.
“J’ai eu très peur à ce moment-là”
Et des forces il va encore leur en falloir. Le passage en Hongrie s’avère difficile. “J’ai eu très peur à ce moment-là”, confie Hassan. Pour franchir la frontière – qui n’était à cette époque pas encore équipée de grillage électrique – il faut se cacher pour éviter les incessants contrôles de police et les hélicoptères qui rôdent au-dessus de la zone. “Pour ne pas se faire repérer avec le flux continu de migrants qui tentent de traverser la frontière, on a pris une autre chemin par la forêt mais l’accès à Internet étant coupé dans le secteur on s’est perdus”, racontent-ils. L’angoisse d’alors revient immédiatement sur leurs visages encore juvéniles. Il leur faudra neuf heures pour arriver en Hongrie, “au lieu de quatre habituellement”.
Une fois la frontière passée, Hassan et Molham déboursent encore 500 dollars pour monter dans un camion qui les conduit à Budapest, puis le train vers l’Allemagne. Arrivés à Francfort après plusieurs arrêts pour notamment leur faire passer une visite médicale, les migrants sont dirigés vers un gymnase dans l’attente de leur demande d’asile. “Mais en Allemagne, il faut attendre six mois pour obtenir une réponse et pendant ce temps, on doit rester dans le camp, détaille le jeune homme aux yeux sombres. Là-bas, on est comme des animaux : on ne peut rien faire à part manger, boire et fumer”.
“La fin de nos galères”
Alors ils décident de fuir en prenant garde de ne pas laisser leurs empreintes pour ne pas être enregistrés en Allemagne. Molham contacte son oncle qui vit en France depuis plus de 20 ans et lui demande de venir les chercher. D’abord réticent en raison d’éventuels contrôles aux frontières, ce dernier accepte finalement de les aider. “Le trajet en voiture était super sympa, dit Hassan avec enthousiasme, les yeux rieurs. C’était la première fois que quelqu’un nous aidait sans nous demander d’argent et ce dernier voyage sonnait aussi la fin de nos galères”. Sur la route, la petite bande ne sera jamais contrôlée, chose qui étonne les Syriens. “Auparavant, on a vu des contrôles à toutes les frontières et là on est passé par le Luxembourg avant d’entrer en France sans voir la police”, s’amusent-ils.
C’est le 13 septembre 2015 qu’Hassan et Molham foulent pour la première fois le sol français. Immédiatement, ils demandent l’asile.
Les difficultés qu’ils pensaient être derrière eux se poursuivent mais elles sont d’une autre nature. “On a eu beaucoup de mal en arrivant à trouver un logement”, explique Molham. “Il faut bien comprendre que le gouvernement ne nous accueille pas à bras ouverts”, renchérit Hassan, comme pour envoyer un message d’avertissement à ses concitoyens tentés par une nouvelle vie en Europe.
En surfant sur Internet à la recherche de moyens pour s’en sortir, les deux garçons découvrent un programme de l’université Paris 1 à destination des migrants, demandeurs d’asile et réfugiés qui met des logements étudiants à leur disposition ainsi qu’une bourse pour trois ans. Avec l’aide des bénévoles de ce programme, les deux amis apprennent ainsi le français et sont logés dans des résidences universitaires.
“Nos mentalités ont changé”
Depuis septembre dernier, Molham et Hassan débutent leur nouvelle vie. L’un fait ses études dans le cinéma et l’autre dans les arts plastiques. Ils sont désormais deux étudiants parisiens comme les autres. Ou presque.
Pour permettre aux nouveaux arrivants de s’intégrer au mieux et faire part de leur expérience, ils créent une association baptisée “Un pas vers l’autre”. Ils veulent ainsi faire le lien entre la société et les réfugiés à travers des conférences, des soirées d’échange culturel ou encore des visites touristiques, mais assurent-ils “ça doit aussi venir des français, on ne peut pas faire ça sans leur soutien”.
À les écouter narrer leur périple dans les moindres détails, on perçoit une grande complicité entre les deux jeunes garçons, chacun continuant les phrases de l’autre. “Dans les moments très durs on s’est toujours soutenus l’un et l’autre”, confesse Molham. “On fait tout ensemble depuis qu’on se connait”, sourit-il. Hassan approuve d’un signe de la tête et d’un large sourire.
En revanche, quand on évoque leur avenir, les avis divergent. Molham lui, veut rentrer en Syrie quand la guerre sera terminée. “Je ne suis pas contre la société française mais mon pays me manque”, s’excuse-t-il presque. Alors qu’Hassan se veut lui plus réaliste. “La guerre ne se finira pas avant au moins trois ou quatre ans, analyse-t-il. Je vais commencer à construire ma vie ici, ce n’est pas pour tout recommencer dans quelques années”.
Le jeune homme avoue avoir maintenant ses habitudes en France et apprécie la notion de liberté : “En Syrie, on doit faire ce que les autres veulent. Ici c’est moi qui choisit”, dit Hassan. Et puis ils se sont faits de nouveaux amis et constatent que leur propre mentalité a changé, “comme sur l’homosexualité par exemple”, précise-t-il encore. “Dans les pays orientaux, le simple fait d’être gay est considéré comme une maladie mentale et peut conduire en prison. Au début j’étais étonné en arrivant à Paris mais aujourd’hui je ne vois pas où est le problème”, souligne Hassan.
Depuis, Molham a obtenu la protection subsidiaire, qui lui donne droit à un titre de séjour d’un an renouvelable. Hassan, de son côté, attend toujours la réponse de l’Ofpra. “Encore une complication avec l’administration française. C’est lent et fastidieux chez vous hein !”, lance-t-il d’un ton moqueur. Mais dans les yeux du jeune homme se lisent à la fois la détermination et l’espoir. Arrivé jusque-là, il lui en faudrait bien plus pour le dissuader.