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Affaire Théo : que proposent les candidats de gauche ?

Face au discours sécuritaire de la droite, les positions des candidats de la gauche à l’Élysée sur les rapports entre police et population dans les quartiers populaires ne sont pas toujours audibles. Hamon et Mélenchon ont pourtant des propositions.

Les candidats n’avaient pas forcément prévu de faire des banlieues un sujet majeur de leur campagne mais l’actualité les a rattrapés. Avec l’affaire Théo, du nom de ce jeune homme gravement blessé et victime d’un viol présumé lors d’une interpellation à Aulnay-sous-Bois, impossible de ne pas évoquer les banlieues, impossible de ne pas se positionner sur les rapports entre la police et leurs habitants.

Si à droite, sans surprise, les candidats à l’élection présidentielle profitent des débordements, des voitures brûlées et des images de violences pour condamner l’action du gouvernement et mettre en avant leurs propositions sur la sécurité, les candidats de gauche, parfois moins audibles sur les sujets sécuritaires, préfèrent souligner le sentiment d’injustice ressenti dans les quartiers populaires. Pour eux, ce sont les rapports entre forces de l’ordre et population qui sont à revoir.

"J’ai vu des parents qui sont aujourd’hui inquiets que leurs enfants, parce qu’ils sont noirs, puissent être pris à partie dans un contrôle d’identité qui dégénère. Quand cette peur existe, la pire des choses, ce serait d’être dans le déni et de dire que ça n’existe pas. On ne peut pas, en République, avoir peur de la police", a affirmé Benoît Hamon, mardi 14 février, dans l’émission C à vous sur France 5.

"Regardons la réalité en face : ce qui est en train de monter, c’est un sentiment d’humiliation et quand l’humiliation de dizaines de milliers de nos compatriotes ressurgit et pointe, ça se transforme en colère, a-t-il ajouté, pointant également du doigt les propos d’un syndicaliste policier qui "a osé dire que 'bamboula' pouvait être une insulte convenable".

De son côté, Jean-Luc Mélenchon a appelé, dimanche 12 février, à "purger dès maintenant les éléments malsains" de la police. "Comme elles ont tendance à se multiplier et qu'elles semblent venir souvent de ce qu'on appelle les brigades spécialisées de terrain, eh bien pour ma part, je pense qu'il faut les dissoudre, a-t-il poursuivi. Ceux qui se comportent de cette manière le font par idéologie. Ils le font parce que dans leur esprit, il est nécessaire d'humilier une partie de la population de notre pays."

Refonder le code de déontologie de la police

Côté propositions, Benoît Hamon veut mettre en œuvre l’une des promesses non tenues de François Hollande : le récépissé du contrôle d’identité. Le candidat socialiste s’est ainsi dit favorable à une expérimentation dans trois départements "afin de mettre fin aux contrôles au faciès qui nourrissent la rancœur et la méfiance mutuelle entre la police et la population". Il souhaite également doter "chaque patrouille d’une caméra portative garantissant les bonnes conditions des interventions" des forces de l’ordre.

Benoît Hamon veut enfin créer 1 000 postes par an dans la police et la gendarmerie et "instaurer une prime pour les forces de l’ordre présentes en zone très difficile" en s’inspirant de ce que fait l’Éducation nationale dans les réseaux d’éducation prioritaires (REP) et les REP+.

Jean-Luc Mélenchon va, lui, beaucoup plus loin en proposant de s’attaquer à ce qu’il considère être les racines du problème. Le candidat de la France insoumise estime notamment qu’il faut refonder le code de déontologie des policiers en réintégrant "la mission de 'défense des Libertés et de la République'". Il propose aussi "le renforcement de la formation initiale des agents tournée notamment vers l’éthique et la relation avec les concitoyens" et "l’évaluation des missions de services publics de police par des questionnaires adressés à la population".

Autre proposition emblématique de la gauche, Jean-Luc Mélenchon souhaite restaurer la police de proximité créée par le gouvernement Jospin à la fin des années 1990. "Déployer les mêmes policiers sur les mêmes quartiers inscrit leurs actions dans la durée, écrit-il dans son livret sur la sécurité publié en novembre 2016. Fidélisés sur un territoire à taille humaine, ils peuvent engager un dialogue avec la population. Une police de proximité se doit d’être acceptée et reconnue comme telle par la population par le traitement quotidien des petits délits. Ces unités seront amenées à co-animer des Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) rénovés."

"Il y a un risque d'embrasement parce que ça fait des années et des années qu'on ne traite pas la question des quartiers populaires" et "que s'accroît la ghettoïsation", a estimé pour sa part Yannick Jadot, le candidat d’Europe Écologie-Les Verts à la présidentielle, qui a qualifié d'"incroyable stupidité" l'arrêt de la police de proximité en 2003 et propose également la mise en place du récépissé pour éviter les contrôles au faciès.

"Il y a une rancœur énorme contre le gouvernement et la police"

Pour les associations, en revanche, le compte n'y est pas. "On a le sentiment qu'il faut une catastrophe pour qu'il y ait un semblant de dialogue entre les pouvoirs publics et les associations", déplore Pierre Tartakowsky, président d'honneur de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), interrogé par l’AFP.

Chacun garde à l'esprit l'embrasement des banlieues en octobre 2005, après la mort de deux adolescents à Clichy-sous-bois, qui avait entraîné trois semaines de violences dans toute la France – les plus graves dans l'histoire de ces quartiers où vit une population défavorisée et souvent issue de l'immigration.

Le pays avait alors découvert l'accumulation de difficultés économiques et sociales concentrée dans ces banlieues, où le chômage des jeunes dépasse les 40 %. Et les millions dépensés par la politique de la Ville n'ont pas empêché la création d'un "apartheid territorial, social et ethnique", selon la formule polémique employée par Manuel Valls après les attentats de janvier 2015.

"Il y a une rancœur énorme contre le gouvernement et la police, un désenchantement très puissant, qu'on lit dans l'abstention, et qu'on entend dès qu'on se promène en banlieue", conclut Pierre Tartakowsy.