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"La Chine ne lâchera jamais la région du Xinjiang"

Professeur de géopolitique de l'Asie à l’université de La Rochelle, animant également le site asiaobservers.com, Jacques de Goldfiem analyse les raisons des émeutes dans la région du Xinjiang en Chine.

Comment peut-on expliquer les émeutes ethniques qui ont fait plus de 100 morts dans la région du Xinjiang en Chine ?

Jacques de Goldfiem: Alors qu'elle est animée par de forts mouvements indépendantistes, la région du Xinjiang revêt pour Pékin une importance capitale. Stratégique tout d'abord, en raison de la frontière avec la Russie ainsi que le Kazakhstan. C'est dans ce dernier pays que les indépendantistes musulmans ouïghours - minoritaires - ont tendance à installer leur base arrière. En 1987, Li Peng, fraîchement réélu Premier ministre, en avait d'ailleurs fait son premier voyage à l'étranger. C'est ensuite là qu'est l'avenir pétrolier off-shore de la Chine. Enfin cette région est pleine de ressources minérales variées. Et pour ces raisons, la Chine ne la lâchera jamais.

Ce qu'il y a d'inquiétant dans les évènements de dimanche, c'est qu'ils ont pris une ampleur que l'on a jamais vue auparavant. Ces émeutes soulignent un profond malaise de la population musulmane chinoise du Xinjiang, qui a été indépendante jusqu'en 1949. Depuis, cette région a toujours été très turbulente, avec une contestation du pouvoir calquée sur le principe de l'ETA en Espagne ou encore de l'IRA en Irlande du Nord. Urumqi, la ville des incidents, est majoritairement Han, c'est à dire peuplée de citoyens d'origine chinoise.

Ce courant d'indépendantisme est alimenté par trois phénomènes. En premier lieu, il y a la proximité avec les pays frontaliers, indépendants et avec une histoire et une culture souvent proche. Ensuite, il existe un phénomène social : cette riche région est mise en valeur par des Hans, venus d'ailleurs. Les Ouïghours, ces descendants de pasteurs qui représentent 47 % de la population, sont limités à des emplois secondaires, créant ainsi un sentiment de frustration sociale. Enfin on y constate un sentiment identitaire fort, avec un retour marqué de l'islam.

L'une des responsables des émeutes pointées du doigt par Pékin, Rebiya Kadeer, est une riche femme d'affaires qui a du s'enfuir aux États-Unis. Contrairement à ce qu'affirment les autorités, je ne pense pas qu'elle ait pu coordonner ces émeutes, c'est plutôt une accusation gratuite. Les gens ont simplement manifesté leur colère, ces éruptions de mécontentement populaire sont courantes en Chine.

En quoi peut-on comparer ces troubles au Xinjiang avec les émeutes qui ont eu lieu au Tibet en 2008 ?

Jacques de Goldfiem: Le nom Xinjiang signifie "les nouvelles marches de l'Empire". Les Chinois ont envahi ici une région habitée par des musulmans turcophones. On y assiste depuis les années 90 à des attentats très ciblés, un touriste n'y est jamais inquiété. Ce mode d'opération est très différent de celui que l'on voit au Tibet. La zone du Xinjiang a été très longtemps occupée par l'armée, avec beaucoup de camps ou l'on enfermait les opposants au régime. D'autre part, le terme "autonome", donné à cette région et quatre autres en Chine, n'est pas tout à fait vrai : cela signifie surtout qu'ils sont de majorité ethnique différente que le reste du pays. D'ailleurs, bien que la région ne soit pas majoritairement Han, le chef de cette région est un Han.

En comparaison, au Tibet, il n'y a pas d'attaques armées. Avec le Xinjiang, ce sont deux grandes régions périphériques de la Chine. Toutes deux représentent un point stratégique, avec un fort sentiment indépendantiste, sachant qu'il ne se manifeste pas de la même manière. Par rapport au reste de la Chine, les habitants sont physiquement très différents.

Quant au blocage d'Internet et notamment de Twitter, qui avait également eu lieu en 2008, c'est une pratique dorénavant courante en Chine. Sous couvert de lutte contre la pornographie, ils cherchent même à installer un logiciel filtre et mouchard sur chaque ordinateur vendu. Déjà avant les Jeux olympiques, ils avaient bloqué un grand nombre de sites Internet. Cela ne m'étonne donc pas du tout.

Quel rôle a pu jouer cette différence de religion, les musulmans étant minoritaires en Chine ?

Jacques de Goldfiem: La République populaire de Chine est laïque, le gouvernement central chinois est très suspicieux, par exemple il contrôle en permanence toutes les écoles coraniques, par crainte d'insurrection.

La Chine est peuplée de deux sortes de musulmans. Il y a les musulmans d'origine étrangère comme les Ouïghours, mais également des Hans qui ont été "islamisés" à l'époque de la Route de la soie. Pendant la Révolution culturelle entre 1965 et 1969, toutes les religions ont été interdites, ce qui a provoqué une frustration de la part des musulmans. Après l'effondrement de l'URSS en 1991, les cinq régions musulmanes chinoises sont devenues indépendantistes.

Les minorités ont un statut particulier en Chine, elles ne représentent que 8 % de la population. Elles se distinguent notamment au niveau administratif par l'exception concernant la politique de l'enfant unique, qu'ils ne sont pas tenus de respecter. Cependant cela ne provoque pas de jalousie.