
Le ministre de l’Intérieur a annoncé le déploiement de caméras mobiles pour "apaiser" la relation entre policiers et civils. Pour le chercheur Mathieu Zagrodzki, si le dispositif a fait ses preuves aux États-Unis, c’est en amont qu’il faut œuvrer.
Alors que l’interpellation du jeune Théo L. à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), dans des conditions de violence extrême, continue de susciter indignation et mobilisation, le ministre de l'Intérieur Bruno Le Roux a annoncé jeudi 9 février la prochaine utilisation de 2 600 caméras mobiles dites également "caméras piétons", équipées d'un dispositif de "déclenchement automatique" au bénéfice des policiers et des gendarmes. Ce dispositif, installé sur les policiers, permet de filmer interpellations ou contrôles d’identités, et doit contribuer à détendre les relations entre la police et les personnes lors de contrôles d’identité.
Certains policiers et gendarmes disposent déjà de ces caméras, mais leur expérimentation va comprendre désormais un déclenchement obligatoire. "À partir du 1er mars, il y aura des décrets qui seront publiés pour que, quand il y a contrôle d'identité, le déclenchement de la caméra piéton soit obligatoire", a précisé le ministre de l’Intérieur sur Europe 1 vendredi.
Alors que le débat sur les rapports entre police et civils dans les quartiers urbains dits sensibles a été relancé, Bruno Le Roux a rappelé que ce dispositif "apaisait la relation lors d'un contrôle".
Mathieu Zagrodzki, chercheur en sciences politiques et spécialiste des questions de sécurité, a soutenu en 2009 une thèse qui portait sur le déploiement de ce système aux États-Unis, et notamment à Los Angeles. Il estime que le dispositif a fait ses preuves outre-Atlantique et pourrait contribuer en France à améliorer les contrôles de police.
France 24 : Quelle peut-être l’utilité de ces "caméras mobiles " ?
Mathieu Zagrodzki : Ces caméras embarquées peuvent fournir des éléments de preuves pour les deux parties, lorsqu’au cours d’un contrôle un policier accuse un citoyen d’outrage ou de rébellion, comme lorsqu’un citoyen accuse les forces de l’ordre de violences ou de comportements non-déontologiques. Ces dispositifs ont commencé à être déployés aux États-Unis lorsqu’on s’est rendu compte qu’il était aisé pour les passants de filmer des arrestations lorsqu’elles dégénéraient ; aujourd’hui tout le monde peut le faire avec son smartphone. C’était une demande policière à la base, car la police estimait, dans certaines affaires, que les documents vidéos existants étaient biaisés, que seule une partie de la scène posant problème, celle montrant des violences policières était diffusée, et non celle montrant le comportement de l’interpellé.
Cela vous semble être une bonne idée ?
Tout ce qui augmente la transparence et permet d’apporter des preuves supplémentaires quand il y a conflit entre un policier et un citoyen est positif. Cependant, il ne faut pas voir ces caméras comme une solution miracle, et ne jamais oublier qu’une caméra filme toujours sous un angle particulier. Il peut se passer des choses hors-champ.
Surtout, en amont, il faut d’autres dispositifs pour prévenir les incidents et la violence. Il faut réfléchir à la gestion de l’interaction entre policiers et civils, à la manière de mener un contrôle… Le but c’est quand même d’éviter en amont des situations susceptibles de réclamer des preuves vidéo.
La présence de caméras embarquées aurait-elle pu éviter les violences subies par Théo L. à Aulnay ?
C’est difficile à dire. Quand une situation dégénère, quand des policiers perdent le contrôle, la présence d’une caméra ne va pas systématiquement changer les choses… Quand les policiers font un usage excessif de la force, c’est tout un environnement et tout un contexte qui amène à l’escalade. On est dans une situation extrêmement dégradée dans certains quartiers où la police est vue comme l’adversaire, et où, réciproquement, les fonctionnaires voient la population comme un bloc uniforme et ennemi. Pour éviter dérapages et violences de part et d'autre, c’est cela qu’il faut changer avant tout.
Par ailleurs, dans certains cas, dans le feu de l’action, ou au cours d’une interaction où les policiers sont en tort, pas sûr que la caméra soit déclenchée.
La caméra embarquée a-t-elle fait ses preuves aux États-Unis ?
Ces dispositifs sont utilisés depuis plusieurs années outre-Atlantique, et ils ont incontestablement fait leurs preuves. Par exemple, à Rioalto, l'une des premières communes de Californie à avoir adopté ce système, une étude de terrain effectuée dans les années 2010 a prouvé que la présence de caméras embarquées avait pacifié les relations entre la police et la population. Après un an d’utilisation des "body-camera", on a enregistré une baisse de plus de 80 % du nombre de plaintes contre la police pour brutalité. À cela, deux explications : la présence de caméras a sans doute prévenu nombre de comportements inappropriés de la part de la police, et elle a également fait chuter les plaintes abusives.
Quid du respect de la vie privée et du droit à l’image – les personnes filmées le sont parfois dans des situations inconfortables ?
Tout dépend des règles de stockage et de l’utilisation de ces données. Aux États-Unis, les vidéos sont stockées dans des serveurs sécurisés. Seules les autorités judiciaires y ont accès dans le cadre d’une enquête et les bandes sont détruites au bout d’un moment…
Il appartient à l’État d’encadrer tout cela et d’édicter des règles strictes. À mon sens, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Cette réforme est utile, et les potentielles conséquences négatives sont moins graves que les troubles qu’elle peut prévenir.