Barack Obama a annoncé, vendredi, la levée d'une partie des sanctions visant le gouvernement soudanais. Cette décision, censée récompenser Khartoum pour sa lutte contre le terrorisme, suscite des interrogations sur la stratégie de Washington.
De toutes les décisions prises par Barack Obama à quelques jours de son départ de la Maison Blanche le 20 janvier, celle-ci restera sans doute la plus énigmatique. Le président en exercice des États-Unis a annoncé, vendredi 13 janvier, la levée de certaines sanctions économiques visant le gouvernement soudanais.
Pour expliquer sa démarche, Washington a évoqué des avancées "positives" de la part de Khartoum au cours des six derniers mois dans la lutte contre le terrorisme et pour la résolution des conflits régionaux. Cette levée partielle de sanctions doit prendre effet dans un délai de six mois dont le but serait "d’encourager le gouvernement du Soudan à poursuivre ses efforts", selon l'exécutif américain. Le pays reste néanmoins inscrit sur la liste américaine des "États soutenant le terrorisme".
Face à cette décision, Marc Lavergne, chercheur au sein de l’Étude sur le Monde Arabe et la Méditerranée (EMAM) de l’université de Tours et directeur de recherche au CNRS, dénonce la méconnaissance de Washington : "Les Américains ne sont pas bien au courant du rôle que joue le Soudan dans la déstabilisation de tout le Sahel, jusqu’au Mali, en Centrafrique et en Libye où le gouvernement soudanais est à la manœuvre pour soutenir les mouvements islamistes les plus radicaux. Khartoum fait semblant de lutter contre le terrorisme".
De nombreuses ONG se sont également élevées contre cette initiative qu’elles jugent incompréhensible. "Le gouvernement du Soudan n'a fait aucun progrès sur un ensemble de critères essentiels", a notamment estimé Leslie Lefkow, en charge de l'Afrique au sein de Human Rights Watch, citant en particulier "la poursuite de ses crimes de guerre et crimes contre l'humanité au Darfour" et "la répression des voix indépendantes".
Le président soudanais, Omar el-Béchir, est en outre visé par un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour des accusations de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité au Darfour.
Une économie au bord de l’effondrement
Pour tenter de trouver une explication à la décision de Washington, Marc Lavergne suggère de se pencher sur l’intérêt qu’auraient les États-Unis à empêcher la faillite du Soudan, dont la chute du gouvernement viendrait aggraver la situation dans une région déjà secouée par de nombreuses crises.
Asphyxiée par un embargo depuis 1995, lorsque les services secrets soudanais ont tenté d’assassiner le président égyptien Hosni Moubarak alors qu’il était en visite en Éthiopie, l’économie soudanaise est proche de s’effondrer. Le chercheur décrit un pays au bord de la banqueroute où les membres du régime, craignant une crise majeure, "sont en train de cacher leur argent à Dubaï et d’envoyer leurs femmes et enfants à l’étranger".
À cette volonté de Washington de maintenir un calme de façade au Soudan s’ajouterait "soit une volonté de mettre un caillou dans la chaussure de Donald Trump, soit un aveuglement parce qu’il existe en Occident une idée selon laquelle le Soudan est un pays stable, fort, avec un État, et que c’est cela que l’on recherche en Afrique. On oublie qu’il y a encore des guerres internes au Darfour et dans les monts Nuba où l’on massacre les gens", déplore Marc Lavergne.
Le gouvernement soudanais, en revanche, s’est réjoui de la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine. "En 1998, Bill Clinton avait fait bombarder le Soudan après les attentats de Nairobi et de Dar-es-Salam contre les ambassades américaines. Les mesures de rétorsions américaines avaient visé une base de Ben Laden en Afghanistan et une usine pharmaceutique dans la banlieue de Khartoum. Donc, évidemment, le gouvernement soudanais n’est pas très favorable à la famille Clinton", explique Marc Lavergne. Et le chercheur de conclure : "Les Soudanais préfèrent voir un clown à la Maison blanche".
Avec AFP