La Cour Constitutionnelle gambienne doit examiner mardi 10 janvier le recours du président Jammeh sur l’annulation de l’élection présidentielle. Ce dictateur dirige d’une main de fer cette ancienne colonie britannique depuis vingt-deux ans. Portrait.
La vidéo n’est pas de très bonne qualité, mais peu importe. Son contenu, lui, est historique. Beaucoup de téléspectateurs incrédules se sont frotté les yeux en observant la scène, songeant un temps à un canular, à un montage. Mais non.
Elle est filmée le 2 décembre 2016. Yahya Jammeh, "fier" dictateur gambien, appelle au téléphone Adama Barrow, l’opposant qui vient de remporter l’élection présidentielle, et concède sa défaite. Il est assis dans un fauteuil en cuir vert, au bout d’une table de réunion rectangulaire, probablement celle du Conseil des ministres. L’imposant président porte comme très souvent un boubou blanc et une chéchia de la même couleur. Le plan est serré. Il est détendu, souriant, parfois hilare.
"Les Gambiens ont fait leur choix, et j’accepte cette décision", annonce Jammeh, qui dirige d’une main de fer depuis vingt-deux ans cette ancienne colonie britannique enclavée dans le Sénégal, où 60 % de la population vit dans la pauvreté. "Vous dirigerez le pays en janvier 2017. Je vous assure d’être à vos côtés pendant la transition." Le président gambien promet de quitter le pouvoir et précise qu’il compte embrasser une vie de fermier.
Moins d’une semaine plus tard, marche arrière toute. Yahya Jammeh réapparaît à la télévision pour contester le scrutin. Il qualifie de "perfide" la Commission électorale indépendante – l’IEC, dont le président a fui depuis au Sénégal, craignant pour sa sécurité – et dénonce son manque d’indépendance. Et de saisir la Cour constitutionnelle, qui doit examiner sa demande d’annulation de l’élection mardi 10 janvier.
"Ban ki-Moon et Amnesty peuvent aller en enfer"
Yahya Jammeh, 51 ans, est un habitué des déclarations tonitruantes. L’un des derniers exemples en date est à trouver dans une interview accordée à Jeune Afrique fin mai 2016. La journaliste l’interroge sur la mort en prison de l’opposant Solo Sandeng, responsable du Parti démocratique uni (UDP), pour laquelle Amnesty international et l’ONU réclament alors une enquête. La réponse du président gambien est brutale : "Ban Ki-Moon [alors secrétaire général de l’ONU] et Amnesty peuvent aller en enfer. Qui sont-ils pour exiger cela ?"
Paranoïaque, il a déployé, dans cette minuscule ancienne colonie britannique de moins de deux millions d’habitants, une multitude d’agents de la National Intelligence Agency, les services du renseignement, chargés d’épier et d’arrêter si nécessaire les opposants. Banjul est l'une des capitales les plus surveillées d’Afrique. Disparitions de civils soupçonnés de soutenir l’opposition, emprisonnements de journalistes, morts suspectes d’opposants politiques… Le président gambien est accusé de réprimer toutes velléités de protestation ou de contestation contre son régime. Comment réagit-il lorsqu’on le qualifie de dictateur ? "J’en suis fier", répond-il à Jeune Afrique.
Dictateur fantasque devant lequel les Gambiens sont invités à se courber, Yahya Jammeh affirme également avoir des pouvoirs de guérisseur. Il aurait ainsi trouvé le remède pour guérir du Sida par des plantes et des incantations mystiques. Ses pouvoirs soigneraient aussi l’asthme, l’épilepsie, la stérilité. Et c’est à la télévision que le dictateur se met en scène pour démontrer ses pouvoirs, dont il aurait hérité de son père.
Isolé sur la scène internationale
Le président gambien est natif de Kanilai, un village de l’ouest du pays prisé des touristes. Il est issu de l’ethnie Diola, commune au Sénégal, à la Gambie et à la Guinée Bissau. Sa carrière commence à 19 ans, au sein de la gendarmerie. Dix ans plus tard, simple lieutenant de l’armée, il prend la tête d’une mutinerie qui aboutira au renversement du président Daouda Diawara. Aux militaires qui oseront contester sa légitimité, le jeune homme de seulement 29 ans répondra par le sang. Quarante personnes seront tuées au cours de cette démonstration de force.
À la lecture de son CV, sur le site de la présidence gambienne, les passions du dictateur détonnent avec le personnage brutal. Il est féru, dans le désordre, de comédies musicales et d’Internet, il aime les forêts tropicales, jouer au tennis et au football.
Élu en 1996, puis réélu en 2001, 2006 et 2011, Yahya Jammeh fait de l’arabe la langue officielle du pays à partir de 2014, au détriment de l’anglais, avant de proclamer en 2015 la Gambie "République islamique". Dans la foulée, l'Assemblée nationale de Gambie valide un projet de loi condamnant les "actes homosexuels" à des peines de prison à perpétuité. "L’homosexualité n’est pas humaine", répète-t-il.
"Son excellence Cheikh Professeur El Hadj Docteur Yahya AJJ Jammeh", comme il exige qu’on l’appelle, est de plus en plus isolée sur la scène internationale. Sa décision de quitter en octobre la Cour pénale internationale (CPI), dont la procureur est l’une de ses anciennes ministres Fatou Bensouda, n’arrange rien. "L’isolement de la Gambie est maximale. Certains dictateurs s’efforcent de jouer le jeu sur la scène internationale, pas lui", note Mehdi Ba, correspondant de Jeune Afrique au Sénégal.
Le 1er janvier, des agents des services de renseignement ont forcé trois stations de radio privées, Teranga FM, Hilltop Radio et Afri Radio, à cesser d'émettre. Les arrestations se multiplient à quelques jours de la fin de son mandat, prévu le 19 janvier. Au moins cinq personnes ont été interpellées pour avoir porté ou vendu des T-shirts affichant "#GambiaHasDecided" ("#La Gambie a choisi"), et d'autres pour la vente de t-shirts à l'effigie d'Adama Barrow ou avec des photos d'autres responsables de l'opposition.
"Le risque d'une répression contre toutes les voix indépendantes et dissidentes va certainement s'accroître à mesure que s'intensifient les appels pour que Jammeh quitte le pouvoir à l'approche de la date butoir du 19 janvier, estime Sabrina Mahtani, chercheuse sur l'Afrique de l'Ouest à Amnesty International.
La Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) poursuit en ce moment sa médiation pour assurer une transition pacifique. Sa présidente Ellen Johnson Sirleaf, aussi présidente du Libéria, a souligné que l'institution n'avait pas encore l'intention de déployer de force militaire en Gambie après avoir un temps évoqué la possibilité d’utiliser la force.